C’est la représentation frontale des yeux avec leur pupille qui donne une facialité aux robots- jouets et créatures virtuelles des enfants. Cela fait suffisamment visage pour s’adresser à des objets qui deviennent “personnage”.
Association avec les vases-visages-têtes et les coupes à yeux, motif très courant dans la céramique attique.
Ce sont des récipients larges, à l’échelle du prosopon. Quand le buveur plonge son visage dans la coupe, son regard est à la fois occulté et redoublé aux yeux de ceux qui l’entourent.
Les yeux des coupes sont immenses, grand ouverts. Ils sont séparés par des éléments très divers, du simple nez à des personnages donnant lieu à d’incroyables inventions plastiques.
La pupille est aussi un lieu d’images.
Il y a un très grand nombre d’études sur les coupes à yeux avec des questions qui courent toujours, en prenant le risque des anachronismes que s’autorise la recherche en art (celle-ci est très redevable aux travaux d’érudition que leur “folie florentine” distingue de productions académiques).
Quelques notes de lecture (F.Frontisi-Ducroux, Du masque au visage) :
Aristote différencie la tête et le visage pour l’homme, car seul à se tenir droit, il peut regarder et parler de face. (Histoire des animaux, I, 8; 491b). Il utilise le terme prosopon pour désigner la partie comprise entre la tête et le cou, qui voit en avant (vient du radical ops “oeil, visage”; pros– indique une position dans l’espace, il signifie devant par rapport aux yeux d’un sujet qui regarde). ethos est le terme qu’il emploie pour signifier le personnage (caractère).
“Il est donc raisonnable de minimiser le rôle conféré traditionnellement au masque dans l’aventure sémantique du prosopon. En revanche, le prosopon équivaut très tôt à l’individu. Le visage est considéré comme ce qui identifie chaque être, le fait reconnaître dans sa particularité. Il est le lieu où se manifestent les pensées, les sentiments, les intentions, les désirs, les passions, où se donne à voir cette mobilité qui fait la vie. A travers la relative stabilité des traits de chacun s’opère un rassemblement de cette diversité intérieure, de cette pluralité de forces et de pulsions par quoi se définit l’homme grec, surtout à l’époque archaïque. Le passage, dans les textes homériques, du pluriel prosopa au singulier prosopon témoigne de cette unification. Et surtout le prosopon, “offert aux yeux d’autrui” est le medium indispensable à la projection vers l’autre, vers le groupe social, où s’expérimente le moi et se développe la personnalité.” p.120
“C’est donc bien dans son parallélisme avec le logos que le prosopon devient à la fois personnage agissant, c’est-à-dire parlant tout en montrant son visage, et personne verbale. Il est possible de suivre dans ses modifications la relation des deux termes de ce couple que forment le visage et la parole. Chez Platon comme chez les orateurs, leur parallélisme est constamment affirmé. Le philosophe joue de l’homologie des visages comme de celles des noms, et souligne la symétrie de ces deux modes de ressemblance. Le vis-à-vis, la réciprocité des regards préparent et accompagnent le dialogue socratique et l’échange verbal. Situation que résume le jeu sur les mots prosopon et prosrhésis, qui disent, l’un le voir en face et le visage, l’autre la dénomination et le dire en face: l’interpellation.” p.124
Ce sont les analyses iconographiques des vases et coupes sur la place des représentations frontales parmi les figures de profil et de trois-quart qui relancent les investigations sur le prosopon.
La figure qui n’a pas le droit au terme prosopon est Gorgo. C’est une tête coupée (kephalè) dont la face n’a pas droit au nom de visage. Toutefois, cette “antiface” est toujours présentée frontalement, obligeant à la confrontation avec ses yeux écarquillés. La représentation est une surface plate, sans profil, sans volume.
” La frontalité réglementaire de la Gorgone est une exception dans la peinture céramique attique qui présente régulièrement les visages de profil, s’entre-regardant ou refusant de se voir, selon que ces profils sont convergents ou divergents, dans l’espace de l’image.” p.135
Le visage détourné, l’apostrophè, est d’abord celui de Persée.
Le peintre de Pan a choisi de représenter Persée seul. Le visage détourné, dans le sens inverse à sa marche, il tient tout contre lui la tête de Gorgo en forme de disque faisant face à celui qui regarde la scène.
L’apostrophè désigne le détournement, la volte-face, le mouvement vers une nouvelle direction. Le terme sert aussi comme interpellation linguistique pour les orateurs, le récit épique, figure de style de la réthorique. C’est la frontalité qui provoque l’apostrophé.