Archives par étiquette : assez vivant

Polichinelle et Pinocchio

Le Polichinelle de la commedia dell’arte descendrait des pitres masqués latins des Atellanes, les farces de la ville osque d’Attela en Campanie. Ces petites pièces satiriques étaient jouées par des personnes masquées dont les rôles étaient fixes. Quelques figurines antiques ainsi que des peintures de Pompéi représentent Maccus, le niais, la tête nue, avec de grandes oreilles, un nez démesuré incliné fortement vers le menton oblique et un corps avec une double bosse.

Maccus Polichinelle   

Kikirrus portait le masque thérianthrope d’un coq. Le personnage napolitain de la commedia dell’ arte en est une version adoucie, comme son nom le suggère – Pulcinella signifie petit poussin.

Punch polichinelle      Pulcinella polichinelle

Au chapitre 6, Pinocchio, toujours tenaillé par la faim, s’endort épuisé, ses pieds mouillés sur le brasero, lesquels brûlent petit à petit. Geppetto le découvre ainsi, incapable de tenir debout. Au chapitre 8, il lui fabrique de nouveaux pieds, d’un autre bois que le morceau originel dans lequel est fait le pantin. La greffe se fait avec un peu de colle diluée dans une coquille d’oeuf,  celle du poussin que Pinocchio avait fait éclore au chapitre 5. Alors, refait à neuf, le pantin fait remarquer qu’il est nu.

Pinocchio tête Chiostri

Pinocchio nu Chiostri

Geppetto lui fabrique des vêtements végétaux: “un ensemble en papier à fleurs, des souliers en écorce d’arbre, et un bonnet de mie de pain.”

Pinocchio Chiostri vêtements

Le costume de papier ne résiste pas à l’eau, les souris peuvent grignoter le bonnet et les chaussures brûler.
Parmi les dessins de Carlo Chiostri, il y a une autre image d’un vêtement indéfini qui recouvre la nudité du pantin.

Pinocchio Chiostri façon Maccus

Les vêtements des marionnettes, des pantins, des poupées sont des accessoires qui servent à désigner les rôles et les humeurs. Les figurines endossent leurs costumes, elles se volumisent pour feindre l’humain.
De ces considérations, j’en tire les modes de représentations des figures correspondant à des phases différentes d’empathie et de projection anthropomorphique :
en 3D
– Pinocchio sous sa forme “nue”, en papier
– Pinocchio sous la forme habillée d’une robe indéterminée, en papier
– Pinocchio avec des vêtements, en papier
– statuettes type Maccus entièrement en plastiline
– statuettes type Maccus avec robe indéterminée en papier
– poupées de papier à différentes étapes de fabrication
en 2D
– silhouettes type poupées en carton à habiller.
(dans tous les cas, intégration des modules sons à préciser)
Tous ces éléments sont manipulés selon le déroulement du texte. L’installation est conçue dans son mode non activé avec des zones diverses occupées par toutes ces formes.

Dans le Grand Théâtre des marionnettes, Pinocchio est accueilli avec de grandes marques de joie. Arlequin et Polichinelle sont déjà sur scène, ils “se querellaient et s’apprêtaient, comme d’habitude, à en venir aux gifles et aux coups de bâton. Leur prise de bec faisait se plier de rire un public captivé. Les deux marionnettes gesticulaient et s’envoyaient des injures avec tant de naturel qu’elles paraissaient aussi vivantes que vous et moi. Mais vivant ou pas, Arlequin s’arrêta soudain de jouer. Faisant face au public, il montra de la main quelqu’un au fond de la salle et se mit à déclamer avec emphase:
– Dieux du ciel ! Est-ce que je rêve ou suis-je éveillé ? Pourtant, c’est bien Pinocchio que je vois là-bas !
– C’est vraiment Pinocchio ! cria Polichinelle à son tour.
(…)
– Pinocchio, viens-là ! cria Arlequin, viens te jeter dans les bras de tes frères en bois !”

grand théâtre des marionnettes

Pinocchio est fait dans une matière en transformation selon les situations. Cela commence dès que Geppetto le fabrique : chaque partie s’anime dès qu’elle prend forme. Avec les marionnettes, il devient une deuxième fois pantin de bois selon d’autres règles d’animation.
Pinocchio joue avec les degrés entre animé et inanimé. Il les actualise en mettant à l’épreuve sa propre matérialité. En ce sens, il se confronte en permanence aux rapports formels.

matriochka et premier oeuf à la poule

La matriochka a un visage parfaitement rond, de grands yeux, des joues roses et une petite bouche rouge. Son corps ressemble à un oeuf de Pâques, avec un rétrécissement au niveau du visage, formant cou et épaules. C’est un corps qui s’ouvre horizontalement en deux parties. Surgit alors une autre poupée identique et de celle-ci une autre, une autre encore et ainsi de suite jusqu’à la plus petite qui est d’un seul morceau. Chacune d’elles est une variation de celle qui suit.
Le jeu consiste à les démonter et à les remonter, de la plus grande à la plus petite, en faisant coïncider parfaitement les motifs de la partie inférieure avec ceux de la partie supérieure.
Il me semble, pour l’avoir souvent remarqué, que les enfants comprennent que les matriochkas ne sont pas exactement des jouets.
Le principe d’emboîtement, analogue à celui des tonneaux gigognes, est dépassé à cause de la représentation, celle d’une figure maternelle. Ainsi la plus grande matriochka engendre une sage lignée de filles qui engendrent. Toutefois, elle est singulière car elle englobe toutes les autres sans être jamais englobée. Elle les configure par sa taille et les motifs de son apparence. On connaît la déclinaison au premier coup d’oeil. La deuxième poupée est  englobée et englobante, ainsi que celles qui suivent jusqu’à la dernière. Celle-ci ne s’ouvre pas, elle semble être faite d’un bloc qui la délimite. La plus petite matriochka n’est pas englobante, elle n’est qu’englobée.

matriochka

Sur le plan mathématique, le principe de construction des matriochkas est une fonction récursive. En effet, est récursif ce qui peut être répété indéfiniment en appliquant la même règle.
La récursivité est utilisée dans presque tous les langages de programmation. C’est elle qui crée les automatismes. On trouve en ligne de petits jeux initiant à la programmation qui mettent en scène la récursion. Dans le genre, Cargo-Bot est très bien. Cargo-Bot a inspiré une version IRL dans le cadre de “l’informatique débranchée“, ou informatique sans ordinateur dans l’enseignement général dès le primaire pour ” comprendre et maîtriser la véritable mutation sociétale induite par la dématérialisation de l’information, la mise en réseau des connaissances et l’augmentation massive de la puissance de calcul disponible ; cela exige des capacités de traitement et d’analyse conceptuelle de l’information qui ne se font pas sans une bonne familiarité avec ce que l’on appelle, dans certains cercles, la pensée informatique.” (1)
Deux remarques à ce propos :
Computing without Computers a été un des axes de réflexion dans l’art de l’après-guerre en Angleterre, dès l’Independent Group (2). L’exposition en 1956 This Is Tomorrow à la WhiteChapel à Londres en est l’une des manifestations. C’est-à-dire que la question de l’art et des technologies numériques de ce moment se débattait à l’intérieur du champ de l’art du XXème siècle, sans pas de côté vers ce qui est devenu distinct comme art numérique. En ce sens, ce que Gene Mac Hugh a nommé art Post-Internet en 2009 correspond au moment web 2.0 et à la génération Flash. Je préfère employer le terme After Internet, qui porte l’ambiguité dans la traduction française entre d’après et après internet, renforçant l’histoire critique du double jeu entre IRL/URL des réseaux sociaux et des bots conversationnels.
Seconde remarque du côté des sciences humaines :  Edgar Morin a développé sa théorie de la complexité pour une part, à partir de la récursion. Celle-ci lui permet de mettre en place une logique qui articule ensemble ce qui est séparé. C’est ainsi qu’il ré-organise dans un système de boucles, des relations jusque là disjointes (sujet/objet, organisation/système, dépendance/autonomie, ouverture/fermeture , etc …) . Ces termes se fondent en se co-produisant l’un l’autre – l’antagonisme est relativisé en  étant intégré à une complémentarité plus forte. Dans le même registre, les liens entre structuralisme et cybernétique ont été interprétés diversement. Ronan Le Roux, par exemple, en fait une recension nécessaire et développe la réception et l’usage de la cybernétique chez Levi-Strauss et Lacan (3). Mathieu Triclot (4) évoquait lors du séminaire Post-Digital (5) en cours comment aujourd’hui, il opèrerait pour revenir et poursuivre sa thèse sur la notion d’information depuis cet inconscient cybernétique. (voir)

Dans le déroulé d’Assez vivant, j’aimerais manifester ces brouillages entre la vie en ligne et la vie réelle dans ce qu’ils ont de subreptices.
Pour différencier boucles de récursivité et emboîtements, nous avons défini perles, oiseaux, pantins, oeufs, coquilles et banquises comme éléments de base à manipuler.
Des matriochkas aux “oeufs à la poule”, il n’y a qu’un pas. Le premier œuf de Fabergé est une réplique réaliste d’une véritable coquille. Il est en or émaillé de blanc. A l’intérieur se trouve le jaune qui contient une poule, tous deux en or. En actionnant un mécanisme proche de la queue, la poule s’ouvre, contenant une miniature de la couronne impériale en diamant et un petit pendentif en rubis, qui ont disparu.

Pinocchio

1 – Enseigner et apprendre les sciences informatiques à l’école, Interstices, Roberto di Cosmo
2 – Paul Brown, Charlie Gere, Nicholas Lambert, Catherine Mason, White Heat Cold Logic, British Computer Art 1960-1980, MIT Press, 2008
3 – Ronan Leroux, Structuralisme(s) et cybernétique(s), Lévi-Strauss, Lacan et les mathématiciens, disponible en ligne (pdf)
4 – Mathieu Triclot, Le moment cybernétique, la constitution de la notion d’information, Champ Vallon, 2008
5 – séminaire ENS 2017-2018 portant sur “l’imagination artificielle” sous la direction de Béatrice Joyeux-Prunel avec Grégory Chatonsky et Alexandre Cadain.

Pinocchio et l’oeuf

Pinocchio a faim – beaucoup et souvent. Car la nourriture est trompeuse ou illusionniste.
On pourrait lire l’organisation du conte uniquement autour de la faim, autant celle de Pinocchio que celle de nombreux protagonistes de la narration.

Le trompe-l’oeil
Au chapitre 3, celui de la naissance de Pinocchio, le logis de Geppetto est présenté à la fois pauvre et fantastique.
“Geppetto habitait une petite pièce au rez-de-chaussée, où la lumière n’entrait que par une soupente. Le mobilier était on ne peut plus simple: une méchante chaise, un lit assez mauvais et une petite table tout abîmée. Au fond de la pièce, on voyait un feu allumé dans une cheminée; mais le feu était peint, et à côté du feu, était dessinée une marmite qui bouillait joyeusement et dont sortait un nuage de fumée, qui semblait de la vraie fumée.”

La coquille
Au chapitre 5, celui où Pinocchio endure fortement la faim, la marionnette se laisse d’abord berner par la marmite peinte, qui se moque de lui. Puis il découvre un oeuf en fouillant dans les affaires de Geppetto.
” Mais voilà qu’il lui sembla voir, dans un tas de poussière, quelque chose de rond et de blanc, comme un oeuf de poule. Il se jeta dessus d’un seul bond. C’était bien un oeuf.
La joie de la marionnette fut indescriptible. Croyant rêver, il tournait et retournait cet oeuf dans ses mains, le caressait et l’embrassait tout en disant:
Et maintenant, comment vais-je le cuire ? en omelette ? A la coque ? Sur le plat, ce ne serait pas plus savoureux ?  Oui, et c’est encore le moyen le plus rapide, j’ai trop envie de la manger.
Sitôt dit, sitôt fait: il mit un poêlon sur un brasero aux cendres chaudes et versa, faute d’huile ou de beurre, un peu d’eau. Quand l’eau commença à bouillir, tac ! … elle fit éclater la coquille qui laissa s’échapper ce qu’il y avait à l’intérieur.
Or au lieu du blanc et du jaune de l’oeuf, sortit un petit poussin tout content et très poli, qui, après une belle révérence, dit:
Merci mille fois, Monsieur Pinocchio, de m’avoir éparné la fatigue de rompre moi-même ma coquille. Portez-vous bien et bonjour chez vous !
Puis il étendit ses ailes et, passant par la fenêtre restée ouverte, s’envola et disparut à l’horizon.
La pauvre marionnette en resta paralysée, les yeux fixes, la bouche ouverte, la coquille cassée dans la main. Le choc passé, il se mit à pleurer, à crier, à taper des pieds par terre de désespoir (…).

Plâtre et farine
Au chapitre 29, celui où Pinocchio retrouve la Fée, il est une nourriture affamée.
” Sur le plateau, il y avait du pain, un poulet rôti et quatre abricots bien mûrs.
– Voici le repas que vous envoie la Fée.
La vue de ce festin consola la marionnette de tous ses malheurs.
Mais son désappointement n’en fut que plus grand quand il commença à manger car le pain était en plâtre, le poulet en carton et les abricots en albâtre peint.
Il était sur le point de s’effondrer en larmes, de s’abandonner au désespoir, d’envoyer valser plateau et nourriture factice mais – fut-ce parce que sa peine était profonde ou parce que son estomac était vide ? – il ne fit que s’évanouir.”

Les trois rubriques trompe-l’oeil, coquille, plâtre et farine condensent la complexité de l’illusionnisme permanent dans lequel évolue la marionnette.
Je les ai nommées ainsi pour définir les différents types de représentations utilisés pour le déploiement du texte de Marie de Quatrebarbes, lequel connaît manifestement et subrepticement celui de Collodi (entre autres).
A cause du titre de cette note dont je me suis un peu éloignée, j’évoquerai d’abord le fonctionnement du tissu magique – un dessin au trait animé projeté au moment ad hoc sur une paroi d’une micro-scène. C’est le seul usage du mode animation d’un dessin au trait, noir sur fond blanc.
Le tissu magique, coquille souple, se déplace au gré du vent. Il transforme l’objet sur lequel il est déposé par celui, celle qui a attrapé ou trouvé l’étoffe volante. Quelques images-clés du passage avec oeufs et poussins, destiné à s’associer aussi avec le fait que furbies et creatures sont oiseaux et oeufs, que tamago (chi) signifie oeuf …

Penser aussi aux Compact Objects de Nakashimi Natsuyuki – en résine transparente de la taille et de la forme d’un oeuf d’autruche, renfermant des objets de consommation divers. 

compact object

performance Hi Red Collectif

La performance a eu lieu dans une rame de la Yamanote à Tokyo le 18 octobre 1962 (Hi Red Center collectif). Dans le train, le visage recouvert de blanc, celui-ci faisait semblant de lire ou inspectait l’intérieur des oeufs. Ceux-ci étaient suspendus aux poignées autour de lui.

Un lien rapide vers les Compact Objects en astrophysique:
https://astronomy.fas.harvard.edu/compact-objects

micro-scènes _ 1

J’emploie le terme micro-scènes pour définir les espaces scéniques à échelle réduite qui sont un des formats utilisés pour Assez vivant. La question n’est pas la miniaturisation en tant que telle mais celle de la réduction d’échelle qui permet de réfléchir autrement la notion de scène.
De fait, je veux considérer ce qui est entendu par playset, qui associe une scénographie et des objets destinés à fonctionner avec celle-ci.
J’ai commencé à évoquer cette question avec l’idée de “tables sur tables”.

La forme “maison de poupée”
Les maisons de poupée sont apparues au XVIIème dans l’Europe du Nord, en Allemagne et aux Pays-Bas. Elles correspondent par le luxe des objets miniatures qui les remplissaient à cet “âge d’or ” des natures mortes de la peinture hollandaise, associées à la classe sociale et au statut de leurs propriétaires. Elles font partie de l’histoire visuelle, s’apparentant au cabinet de curiosités du collectionneur avant d’appartenir au monde des jouets.


Détail de la maison de poupée de Petronella Oortman

Ces maisons de poupée se présentent comme la réduction d’une maison dont une des faces a été retirée. La façade arrière est remplacée par des portes vitrées qui s’ouvrent pour exposer  des espaces intérieurs et constater l’opulence des détails des objets et du mobilier. L’ensemble de cette sorte de boîte repose sur des pieds et forme une vitrine.
Au 18ème siècle, en Angleterre, la tendance des maisons de poupée est de montrer la réplique exacte de la maison de la famille, enracinant l’éducation des jeunes filles dans le rôle de bonne maîtresse de maison à partir de cette modélisation.
Les mutations autour de la conception de l’enfance et la révolution industrielle ont conduit à la production de masse de jouets dont des maisons de poupée avec personnages et mobilier pour les accompagner.
Dans tous les cas, la maison de poupée est une représentation d’un monde en réduction qui donne le contrôle à celui qui en dispose – disponere, mettre en ordre, mettre en place, arranger, ordonner. Quand la maison de poupée est un jouet, elle ne propose pas une identification à un des personnages éventuels mais l’élaboration d’une mise en scène, une organisation à partir d’une structure statique en vue du déroulement d’actions et d’évènements.
Formellement, il y a deux types avec variations:  le modèle type vitrine ouvert à l’arrière et celui qui conserve une façade montée sur des gonds qui s’ouvre en deux pour accéder à l’intérieur. Ces deux genres présentent des différences supplémentaires selon la présence ou non d’un support fixe d’une hauteur variable.

Quelques notes à partir de l’évolution d’un des jouets-phares du fabricant de jouets américain Fisher-Price:
Quelles sont les conséquences des détails des objets qui composent ce play set ainsi que celles de leur évolution depuis la première version du jouet jusqu’à la fin des années 90 ? il va de soi que je pose cette question parce que c’est pendant cette période que sont apparus jeux video et jeux de vie artificielle qu’il faut examiner de près pour faire face à notre moment robotique actuel dans les rayons jouets (et au delà). Comment les uns et les autres se sont mutuellement influencés ? Un tel regard sur ce jouet a pour but de fournir des éléments pour comprendre comment cela se passe entre play set et screen play ?

La première ferme Fisher Price date de 1968. C’est une boîte qui s’ouvre en révélant un décor qui tapisse les parois intérieures.  Ce procédé rappelle celui des maisons de poupée qui n’appartenaient pas au registre du jouet. Celles-ci empilent et juxtaposent plusieurs boîtes aux décors différenciés.
1) Le rapport intérieur/extérieur des parois de la boîte-bâtiment de ferme:
Les parois sont opaques. Elles sont recouvertes d’images détaillées aux couleurs vives (lithographies adhésives résistantes à l’eau).
Le registre de représentation est au moins double. Les portes sont en bois clair, les murs sont en pierre. Par contre, un hibou est présent dans une ouverture à sa taille, niché sur le pignon à l’assemblage de planches et de poutres clairement dessinée. Un chat est sur le pas de la porte. Les deux animaux appartiennent au décor, autant que le balai, l’arrosoir et les fleurs, comme dans une illustration. Ils sont immuables, bien que par nature, seulement là, ainsi de temps en temps.
Il y a là quelque chose comme les enfants qui se donnent à eux-mêmes un spectacle de marionnettes. En quelque sorte, les animaux ne sont présents au jeu que s’ils sont convoqués.

Chaque côté de la mallette-ferme propose une atmosphère et contribue à la faculté de l’objet à reproduire à échelle réduite une “vraie ferme”. (1)
Une illustration n’est pas une nature-morte.
(…) Il s’agit de devenir humble pour les choses humbles, petit pour les petites choses, subtil pour les choses subtiles, de les accueillir toutes sans omission ni dédain, d’entrer familièrement dans leur intimité, affectueusement dans leur manière d’être: c’est affaire de sympathie, de curiosité attentive et de patience. Désormais le génie consistera à ne rien préjuger, à ne pas savoir ce qu’on sait, à se laisser surprendre par son modèle, à ne demander qu’à lui comment il veut qu’on le représente.” écrivait Fromentin à propos de la peinture hollandaise.

Une simultanéité est donnée par la correspondance recto-verso des images de chaque paroi.

C’est une situation qui est représentée. L’enfant et la vache regardent un extérieur. Ce qu’ils voient est inconnu côté intérieur de la boîte. Et vice versa, ce qui peut se dérouler devant les deux “spectateurs” aux fenêtres existe simultanément avec ce qui peut arriver à l’intérieur, invisible depuis cet extérieur.

Les détails des images incitent à un regard de près, donnant une échelle de vue à la micro-scène.

 

2) Le rapport au sol de la boîte-bâtiment de ferme

  

   

 

 

Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme (…). H.Michaux

1 –  L’objet de ces notes n’est pas de se pencher sur la traduction de l’idée de ferme dans le contexte de la production du jouet pour petits citadins.

Furby et pâte à modeler

Quelques usages de la pâte à modeler pour faire semblant d’appartenir à la catégorie Furby:
La pâte à modeler suivant les ingrédients qui la composent est plus ou moins malléable dans le temps. Elle perd son adhérence  aux objets et aux parois.


Furby dépecé et recomposé comme un Furby


Statuette de bois transformé en Furby,
Assez vivant, première restitution fin de résidence avec Marie de Quatrebarbes, La Pratique, Vatan

       
Wall Mount for vintage Furby collections (Mint condition) #1
Brad Troemel, une pièce de 2015 qui réunit prises pour mur d’escalade comme dans les aires de jeu et Furby provenant des éditions limitées de Mac Donald pour  les Happy Meals.
On pourrait imaginer l’ensemble en play doh se détachant progressivement du support.

 

réseau neuronal et pâte à modeler

Creatures est l’un des tout premiers jeux utilisant un réseau neuronal artificiel, ensemble d’algorithmes simulant une vie artificielle. Les réseaux de neurones exploitent des méthodes  de type probabiliste et statistique combinées à celles de l’intelligence artificielle pour traiter les données selon la logique formelle recherchée.

Les Norns se développent au hasard du jeu. En reproduisant certains Norns avec d’autres on transmet des traits et caractères à d’autres générations. Les Norns se comportent comme des organismes vivants et leur programmation s’est développée pour la compréhension de l’évolution de vrais organismes.
Au début du jeu, 6 oeufs, chacun pouvant donner naissance à un Norn. Chaque Norn est unique par son “code génétique virtuel”. Il a des caractéristiques physiques, un caractère et un mode de raisonnement différents de ses semblables.
Il s’agit d’apprendre à la petite créature à survivre, à communiquer, à manger ce qui lui convient. Les Norns, une fois grands adolescents, doivent penser à se reproduire.
Au fil des générations, s’organise un peuple de Norns, qui ont évolué tous différemment.
Le monde des Norns est rempli: des fruits, des légumes, des jouets, des insectes, des ascenseurs, des téléporteurs, un ordinateur et … une autre espèce les Grendels.
Les Norns ressemblent à des peluches aux grands yeux. Les Grendels sont nettement moins mignons, ils sont agressifs et porteurs de maladies. Il est toutefois possible de faire se croiser les 2 espèces ou même d’élever des Grendels à partir d’un oeuf de Grendel.

Créé dans le milieu des années 1990 par Steve Grand qui travaillait alors pour la firme de programmation de jeux vidéo Millennium Interactive, le logiciel a été considéré comme une percée importante dans la recherche sur la vie artificielle. Il a eu un gros succès et la communauté de joueurs a été l’une des plus importantes dès les débuts d’Internet.
Le jeu est aujourd’hui un abandonware, également accessible sans téléchargement.

Les difficultés rencontrées pour produire les modélisations 3D et les animations ont conduit à la construction de maquettes et personnages combinant de nombreux matériaux. L’ensemble est alors photographié selon les besoins.  Les photos sont recomposées puis numérisées pour servir de fond sur lequel évoluent les créatures. Cette façon de faire selon les techniques  de l’animation traditionnelle donne au jeu un style spécifique.

La combinaison de la programmation d’une vie artificielle à un mode de représentation issu de l’univers des jouets donne à ce jeu sa singularité, utile à décortiquer pour les choix  à faire dans la fabrication des micro-scènes.

Voir Notes de Steve Grant à propos du développement de Creatures.

retour sur la méthode _ 5 (notes de bas de page)

J’ai commencé ces carnets il y a deux ans. Le principal objectif était de rendre visible en ligne un carnet de recherche à partir de son commencement, menant conjointement expérimentations et écriture de notes pour la réalisation d’Assez vivant. La superposition avec Magellan optimentalement, oeuvre de longue haleine et avec des travaux d’une autre nature interrogeant l’art et l’anthropologie a rendu aléatoire le suivi de ces notes. Non pas que les autres recherches éloignent; au contraire, il est toujours troublant de voir comment se fait la circulation des pensées, des questions et des recherches quand on revient à l’objet initial, quand on s’éprouve même et différent.
Je crois que la régularité de ces lignes tient plus à la forme blog elle-même et à la diffusion en ligne. Mon investissement dans la présence en ligne en termes de visibilité personnelle est très relatif. Je suis plus intéressée par l’usage de différents carnets papier et leur relation aux outils numériques. Comment noter et annoter ? Certains savent mettre en place des rituels invariables. J’ai l’impression que je dois trouver la bonne forme pour chaque note, pour ensuite être à même d’en faire un montage on line et offline à la fois.
J’ai récemment relu la mezzanine (1) de Nicholson Baker. Il réussit extraordinairement ce que Philippe Lejeune (2) appelle l’esthétique de la durée ou l’art du délai à propos des solutions d’écriture de Michel Leiris.
Mais ce qui me ravit et m’intéresse le plus, c’est l’usage des notes de bas de page (3). Je suis retournée vers ce livre parce que je m’interrogeais sur la nature de tout texte produit en même temps que l’oeuvre (Assez vivant) ou à l’intérieur de l’oeuvre (Magellan optimentalement). Réfléchissant au terme de méta-discours proposé récemment par un visiteur à l’atelier, j’en suis venue à l’idée de notes de bas de page, à condition toutefois de les reconsidérer.
Anthony Grafton (4) a étudié la manière dont les membres d’une communauté intellectuelle lisent, notent et éditent. C’est dans cette optique qu’il compose une histoire de la note de bas de page. La note est ce qui prouve la véracité de ce qui est affirmé, renvoyant aux sources et aux raisonnements déjà existants. Les notes prolifèrent dans les travaux des historiens à partir du XVIIIème siècle, jusqu’à devenir objet de dérision par le ridicule de leur profusion. Malgré tout, Grafton regrette la mise en ordre actuelle de la note se pliant à des règles académiques. Roger Chartier (5) fait remarquer l’usage que fait Grafton de ses notes dans ce livre dont c’est le sujet même : “Ses propres notes, en fin de volume et non en bas de page, sont impeccables, impressionnantes d’érudition. (…) C’est dans le texte lui-même qu’il a placé commentaires ironiques et remarques provocantes. Comme s’il pensait que la majorité de ses lecteurs a perdu le goût des notes. ”
Supposons que la note de bas de page, qui est visible sur la même page que le texte principal, ne s’apparente pas seulement à la logique de la justification. Au lieu de considérer le renvoi aux sources ou à des commentaires détaillés comme un acte conclusif, imaginons la note dans le temps du délai, un délai sans lequel le texte principal n’existerait pas. L’un s’autoriserait de l’autre et vice versa.
La note de bas de page rejoindrait la tradition de la volvelle, ce disque de papier inséré dans le livre pour situer sa lecture. Elle peut aussi en être détachée et fournir toutes sortes de connaissances (carte du ciel, latitudes, marées, différents types de calculs …).

disque papier comme outil de lecture

disque de papier comme outil de calcul

disque de papier comme outil de navigation

1- Nicholson Baker, la mezzanine, traduit par Arlette Stroumza, pavillons poche, Robert Laffont, 2008
Arthur Saltzman, Understanding  Nicholson Baker, University of California Press, 1999
2 – Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Seuil, coll. Points Essais, 1996
3 – Claire Fabre, La défamiliarisation du quotidien ou l’amplification de l’ordinaire dans The Mezzanine (1986) de Nicholson Baker, Polysèmes, 9, 2007
4 – Anthony Grafton, Les Origines tragiques de l’érudition. Une histoire de la note en bas de page, traduit par Pierre-Antoine Fabre, Seuil, “La Librairie du XXème siècle”, 1998
5 – Roger Chartier, Le jeu de la règle: lectures, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. Etudes culturelles, 2000