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Peste soit de l’horoscope _ 1

Peste soit de l’horoscope est un poème de 98 vers sur la vie de Descartes, à partir du récit écrit par Adrien Baillet en 1691. Samuel Beckett l’a écrit rapidement, le 15 juin 1930, date limite de dépôt d’un concours pour le meilleur poème de moins de 100 vers sur le temps. (1)
C’est très drôle. Les jeux de mots et d’énigmes créent un espace-temps pluridimensionnel à la géométrie de charivari. Peu importe, il me semble, face à cela, la place anecdotique qui a été quelquefois donnée à ce poème dans l’oeuvre de Beckett. La production de cette intempestivité en réponse à la thématique du temps est incroyable.
C’est en ayant ce texte en mémoire que j’ai utilisé l’image dérisoire de l’oeuf inversé pour évoquer l’expérience magellanesque dans l’hémisphère Sud – dont le terme Patagon est une des condensations.

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J’avais commencé quelques lignes à partir des notes de Beckett qui suivent le poème pour la forme agenda de Magellan.
“René Descartes, Seigneur du Perron, aimait que son omelette fût faite avec des oeufs couvés durant huit à dix jours; un séjour plus bref ou plus long sous la poule, et le résultat, dit-il, est répugnant.
Il maintint le secret de sa date de naissance afin que nul astrologue ne puisse établir son thème astral.
La navette de l’incubation d’un oeuf tisse la trame de ses jours.”
Ce sont les incidences sur les formes calendaires et le comptage des jours que j’ai tentées de dégager à partir de ces notes. Il me restait à parvenir à expliciter ce qui m’intrigue tant dans le poème, son rythme échevelé qui nombre le temps. A cause de cette image récente,  je tente d’abord une circulation d’écriture qui ne s’assimile pas à une suite de liens hypertextes.
Oui, le poème de Beckett peut être analysé dans la logique des cinq types de relations transtextuelles comme énoncées par G. Genette. Et oui, les spécialistes de Beckett le situerait merveilleusement. Mais il me manque ce qui m’importe, le fonctionnement de là où ça a été dit. Les termes déplacent leur sens au fur et à mesure de leur emploi. La répétition du motif de la poule qui couve et de la qualité de l’oeuf donne le tempo des jours qui se suivent, renversant les données biographiques par ce point de vue subjectif du goût, tout en respectant la linéarité de faits historiques.
vers 67: Ne vais-je gober que des ombres projetées sur la paroi de la caverne ?
Comment le poème fait face à une réalité préalablement donnée, comment il engendre sa réalité propre, comment il fabrique une sorte d’humour objectif, comment il désigne des évidences momentanées ? (2)

brueghel-oeuf-temps

P. Brueghel, La danse de l’oeuf (1620)

C’est une étape assez cruciale pour le système de notes qui suivent leur propre rythme dans la forme agenda en rendant compte du processus global du projet.

1- voir la présentation et les notes de la traductrice, Edith Fournier, Les Editions de Minuit, 2012
2- H.Blumenberg, Le concept de réalité, Seuil, coll. traces écrites, 2012 (trad.fr.)

retour sur la méthode _ 3

Le fait de produire les notes de travail dans cette “extimité” (hors des carnets papier que je ne garde pas longtemps, hors des pages dans des dossiers stockés sur des disques externes et serveurs, dont je perds régulièrement la logique de classement) change la donne ou plutôt la modifie.
J’entends extimité au sens de Lacan, mise à l’épreuve dans la littérature.
La forme tient plus d’un crayonné que de toute autre chose. Esquisses, traits suggérés, parti-pris, désinvoltures méthodologiques, folies de la forme, différés et digressions s’empilent en recueil de constructions, substrat sans chaînes argumentatives.
Cela se peut parce qu’au fond , il est parfaitement clair que seuls l’instant et le geste, hors de tout ça, permettront d’atteindre la forme finale. Mais c’est mon imbroglio nécessaire.
Il y a aussi les échanges avec différents compagnons et compagnes de travail à partir de ces notes qui deviennent “utiles”.
Quelle modification ?
Le jeu se mène en autorisant son propre enregistrement en conscience.
Il y a toujours la possibilité que ces traces deviennent invisibles pour une lecture web. J’ai installé une extension de publication utilisée pour gérer de manière automatique, la date, l’heure et le jour de la mise en ligne. Je l’imagine comme donnant une durée de vie à un article ou une page. Les crayonnés s’organiseraient dans le théâtre qu’ils dessinent alors qu’ils sont crayonnés à ce théâtre-même.
De manière très basique, j’aime le fait d’user (de) la matérialité du web: traçabilités et enregistrements compilés via les technologies digitales produisent l’illusion d’un Total Recall éternel, alors que c’est déjà visiblement mensonger depuis le début d’Internet. Mais plus précisément, c’est une façon de mettre en scène cet apostrophein autour duquel j’ai beaucoup tourné pendant ces semaines. Le détournement du regard marque le désengagement d’un contexte pour interpeler au-delà de la scène figurée sur un objet que l’on tient ou qui passe de mains en mains (ça ne se passe justement pas comme ça à partir de l’histoire de la peinture). Pour revenir à la méthode, je vais expérimenter cette temporalité calendaire et cinématographique sur une petite partie de Magellan.
Autre chose:  vanité du système de mots-clés de l’outil numérique à l’échelle d’un individu. On peut croire que c’est bien plus simple mais c’est de singularité qu’il s’agit et non de quantification.
Je viens de commencer un carnet papier qui est une sorte d’intendance des productions, pour une forme ebook postérieure.

gorgoneion et envisionnement

Le corpus des arts figuratifs grecs à partir de la formation du gorgoneion rend possible un changement radical:  revisiter point de vue et perspective par l’envisionnement.
[Pas de hasard – V.Hugo en créant 
Gilliatt (Les Travailleurs de la mer)  lui donne pour logis une maison “visionnée”. ” A maison visionnée habitant visionnaire”, Gilliatt était l’homme du songe + la scène du retournement de la jeune fille qui trace nom de Gilliatt dans la neige (à développer)]

Comment aujourd’hui penser les images en ne prenant pas l’intermédiaire des outils optiques comme “naturel”, en réfléchissant à celles qui sont, par là, définitivement accolées à ce que nous ne voyons pas ?  C’est-à-dire comment tenir absolument compte des dispositifs de prise de vue à l’oeuvre dans la constitution même de ce qui est représenté ?
J.L.Godard avec Adieu au langage ouvre une piste  de cet ordre en investiguant radicalement le 3D stéréoscopique. Se souvenir de Jonathan Crary qui fait remarquer que de tous les dispositifs de captation/restitution d’images, le stéréoscope est le seul à véritablement proposer une image “virtuelle”. La relation 2D/3D (hors réalité augmentée) est très balbutiante au niveau de ce qu’elle transforme – le simple fait qu’un fichier s’imprime en trois dimensions et comment on pourrait aller vers d’autres pistes que les usages même les plus évolués en ingénierie, à savoir ce que ça change optimentalement. 
La Lytro, par exemple, est un appareil-logiciel qui saisit en la traitant non plus l’image réelle formée dans un plan où elle est principalement nette, mais une globalité lumineuse chargée d’informations aptes à restituer l’image volumique sans rapport avec celle de l’optique classique. Par ailleurs, qu’est-ce que va faire le deep learning aux prises de vue et à la conception des images ?

L’image montée en épingle est détestable. L’image pour l’image est détestable. L’image de parti-pris est détestable. (P.Reverdy in Le gant de crin).

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F.Ferdinand Runge,The formative tendency of substances illustrated by autonomously developed images,1846

“entre les paupières et les yeux”_ 2

Je ne pensais pas que la note à partir du 23 décembre 1869 allait m’amener à des questions d’optique (dans tous les sens du terme), car ce n’est pas l’optimentalement de Magellan qui m’a conduite à commencer les quelques lignes mais le mode temporel – celui-ci est, pour le coup, le laboratoire de Magellan.
C’est sans doute le fait d’utiliser l’expression “entre les paupières et les yeux” comme titre qui m’a détournée. Il faut dire que je l’ai reprise à cause de l’entre-noir qui m’absorbe dans un projet non mentionné ici pour l’instant (la raison de mon retour obstiné vers Hopkins et Duns Scot).
Je me sens contrainte de consigner maintenant le texte d’Hopkins pour, sans doute, le déplacer bientôt.

“Les images du rêve paraissent également avoir peu ou point de profondeur, être plates comme des tableaux, et souvent on croirait avoir les yeux dessus – pendant qu’on rêve, veux-je dire. Cela causé, sans doute, par la différence toujours ressentie entre les images apportées par le fonctionnement habituel de la vue, et celles qui sont perçues, comme celles-ci, “entre les paupières et les yeux” – toutefois cela ne suffit pas, car nous voyons aussi des couleurs, un brouillon de points et de formes, et, de toute façon, l’obscurité positive, due à la fermeture des paupières dans la fonction visuelle normale; mais j’imagine que ces images sont amenées sur un champ obscur par une action invertie des nerfs optiques ou d’autres nerfs (la même chose vaut pour les sons, les sensations du toucher, etc., dans les rêves). Il semble d’ailleurs raisonnable de supposer que les impressions visuelles relèvent de l’organe de la vue – et qu’une fois logée là, elles sont fixées par la pensée tout comme d’autres images: seulement, une fois éveillé, on ne peut pas les fabriquer à volonté, car l’effort nécessité aurait sur elles un effet destructeur, étant donné que l’oeil dans sa saine fonction éveillée ne reconnaît que les impressions apportées du dehors, c’est-à-dire soit d’au-delà du corps, soit du corps lui-même, produites sur le champ obscur des paupières. Il n’en reste pas moins que j’ai vu, à certains moments propices, des images issues du dedans et qui se trouvaient là, mêlées aux autres: si je ne me trompe, elles sont plus frustres et plus simples, elles sont un peu comme des spectres produits par des choses brillantes quand on les fixe longuement. Je puis en conséquence croire ce que C. avait dit à E.B.: qu’à son réveil il pouvait voir – ce qui va au-delà de leur simple vision sur le champ des paupières – les images de son rêve sur les murs de sa chambre.
Il n’est pas, en réalité, plus ardu pour l’esprit d’avoir tout en même temps la connaissance de ce que voient les yeux, et celle des images qui appartiennent à nos pensées, sans jamais ou presque jamais les confondre, que de ramener à une seule les scènes perçues par les deux yeux, sans jamais les diviser. (Note rajoutée le 23 mars 1870)”

“entre les paupières et les yeux”_1

Dans l’édition partielle en 10-18 (1976) des écrits hors poésies de G.M.Hopkins, qui ne me quitte pas depuis plusieurs semaines, le journal (1866-1875)  est inséré entre les carnets (1862-1866) et les lettres (1865-1889).
Le 23 décembre 1869, ses notes sont plus longues qu’à son habitude – il y est revenu en rajoutant plusieurs paragraphes le 23 mars 1870 ( imprécision sur le début de ce complément, qu’on peut seulement faire coïncider avec l’évocation d’une date postérieure: un autre jour, après, ….)
Ce n’est pas une attitude de type génétique textuelle qui me pousse à attacher de l’importance à cette temporalité-là (pas de reconstitution de strates successives formant récit interprétatif, ni de reconstruction biographique ou chronologique).
De quelle manière est-il possible d’envisager une vie humaine dans sa singularité par rapport à cet accès qui nous est donné à l’oeuvre d’une vie entière?
Comment parvenir au discernement de la malléabilité du sens du temps ?
Beaucoup du cinéma expérimental du XXème siècle a exploré magnifiquement le passage de l’attention d’un point à un autre de l’espace.
L’hypothétique était proposé comme modèle de la conscience, chaque chose élémentaire impliquait l’univers. Aujourd’hui les historiens historicisent comme si ces explorations n’avaient pas existé. Mais c’est autre chose que je veux signifier.
Rêve d’un art qui donnerait forme à une plasticité temporelle.

23-12-1869 : c’est une journée où Hopkins revient sur un rêve qu’il a fait la veille.
Je savais que je rêvais et je produisis ce bizarre dilemne dans mon rêve: ou bien je ne suis pas vraiment avec S. et alors qu’importe ce que je fais, ou si je le suis, le fait de me réveiller me déplacera sans qu’il me soit nécessaire de faire quoique ce soit – et cela suffisait à me satisfaire.”

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Au début de la quête en songe de Poliphile (Hypnerotomachia Poliphili),  celui-ci, après avoir franchi une sombre et épaisse forêt, est figuré endormi au pied d’un arbre dans un paysage calme et vallonné pour signifier qu’il rêve qu’il rêve.

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La traversée des arbres enchevêtrés s’assimile à un profond sommeil, le dormeur se voit s’endormir. Ce n’est pas la successivité des scènes qui nous en donne la conscience mais plutôt l’acceptation d’une sorte de stéréoscopie.

La forme spatio-temporelle rapportée par Hopkins me fait précisément penser à l’emploi de cette optique 2D/3D par J.L.Godard pour Adieu au langage. L’expression “entre les paupières et les yeux” qu’Hopkins introduit dans la note postérieure, en ouvre la sensation.

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Le théâtre du Globe, métaphoriquement, au centre de Magellan.
En train de poursuivre sous forme de perséphones plusieurs types de coupole/bol à l’échelle de deux mains réunies faisant récipient et dans la lecture des carnets de G.M.Hopkins:
Gulf, golf. Si ce jeu tire son nom des trous où la balle doit entrer, ces mots sont peut-être connectés, ayant tous deux une racine signifiant: creux. Gulp, gula, hold, hilt, kolhos, caelare (rendre creux, creuser, enterrer), caelum qui est par conséquent identique comme s’il était ce qu’on supposait autrefois: une traduction de kolaov, hole, hell (the hollow hell: le creux enfer), skull (mâne), shell (coquillage), hull (coque) (des navires et des haricots). p.30
J’étais allée voir du côté de vessel, vaissel (moyen français) de vascellum qui associe les navires et les objets sacrés concaves (aussi comme ils peuvent apparaître en mer) – envaisseler.
Et dans le même temps, la nef (navire, partie qui soutient la voûte, laquelle a la forme d’une coque inversée) qui permet d’arriver à la navette – celle du tissage (voir F.Frontisi-Ducroux et J.P.Vernant, Dans l’oeil du miroir, la navette et le miroir sont représentés d’une façon telle qu’ils se confondent).

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Le premier prototype a fait partie de l’ensemble de près de loin, inséré dans une exploration de nature architecturale (tectonique et stéréotomie). Chacune de ces perséphones est la condensation d’une sorte de répertoire de rapports entre substance et structure dans la “prise de forme”. La sensation de déposer quelque chose sur laquelle revenir était signifiée par les tables de papier sur lesquelles étaient placés les objets du même matériau, rendu invérifiable par le travail de dessin-leurre d’une substance. La scène entière pouvait être emportée par le vent ou froissée à jamais comme une feuille. histoire de dire que ce n’est pas le registre du motif (pattern) mais du déplacement de la condensation.

Avec Magellan, les personnages sont apparus.
Le bol/coquille/voûte/navire se charge. Il se met en acte – comme le principe du carnet rouge/carnet noir: l’in actu d’une singularité.
voir Paul Klee, Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s’abandonner aux flots sous cette voûte.

M.McLuhan / S.Giedion

La biographie de McLuhan par Douglas Coupland: une adéquation stylistique très réussie qui, de plus, fait saisir le plus grand malentendu qui a fait de McLuhan un adepte de ce qu’il étudiait, décrivait alors qu’il le dénonçait.
Douglas Coupland saisit la figure de McLuhan telle qu’elle est généralement prise en la reconfigurant selon différents points de vue de la manière dont il travaille ses textes en forme de romans. Les techniques de composition font appel à la digital litteracy post-McLuhan et permettent de le considérer hors académisme, tant dans les méthodes, les impasses, les fulgurances et les formulations – une pensée d’artiste plutôt que théoricien des médias, de la recherche-création.
Envie de revenir de plus près aux formes et formats utilisés à partir de la Mariée mécanique, d’une part pour la question des patterns et d’autre part pour la manière dont sa pensée s’est enracinée dans le monde de l’invention de l’imprimerie, soit le monde magellanesque – celui de mécanisation de la culture dont il analyse les effets jusqu’à l’arrivée des médias électriques et électroniques de manière radicalement différente de l’Ecole de Francfort.
Relations avec:
H.A.Innis 1
S.Giedion 1, 2, 3
E.Carpenter 1
J.Tyrwhitt 1, 2
J.Joyce 1

carnet rouge

Si le carnet rouge de Magellan renvoie directement au verzino, qui donna son nom au Brésil. L’Amérique du Sud était couverte d’autres variétés plus stables pour la teinture que celles que l’on faisait venir à grands frais d’Asie ou d’Afrique.
Les nombreux ouvrages sur l’histoire des couleurs insistent sur le fait que, jusqu’à la chimie moderne, ce qui importe c’est la densité, la profondeur et l’éclat de la couleur. Le carnet rouge est une sorte de circumnavigation de la capture de la teinte sur la surface du papier.
Mais il s’agit aussi de nombreuses interrogations à partir de la fabrication de l’exemplaire unique du Livre Rouge de Jung. Je voulais trouver un moyen de revenir sur la manière dont le trait, le contour et la couleur sont données à voir, après le trouble éprouvé dans l’exposition qui a eu lieu, il y a quelques années au Musée Guimet.
A regarder de plus près: “A Londres, les teinturiers jouissaient du droit d’élever des cygnes sur la Tamise, privilège autrefois réservé aux seuls souverains.” in Amy Butler Greenfield, p.28