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des tables ou non

J’aime les tables – ce n’est pas un argument pour décider de leur présence sur la scène d’assez vivant.
Je les différencie fortement, je les utilise fixes, mobiles et pliables. Les quatre côtés ou la circonférence permettent de situer corps, activité dans l’espace de travail. Ce que l’on perçoit de ce qui se trouve derrière, autour de soi accompagne les occupations menées sur la table, plus ou moins dans un insu. Qu’est-ce que le devant-soi induit par la table ?
Il est clair qu’à considérer les pratiques de personnes plus ou moins proches, ce devant-soi ne suppose pas le même type d’engagement. Comment, individuellement, est-ce lié à l’imaginaire ou au symbolique en relation ou non avec l’activité ?
Dans de nombreuses situations de résidence pour des projets in situ, Je me suis souvent retrouvée dans des conditions de travail sans table, pour des raisons très différentes.
Dans la pratique, cela se résout par un plan suffisamment solide et lisse, posé sur deux supports de même hauteur.
Doit-on pour autant en conclure que la table est une forme manifeste de tectonique, structure portante (dont le remplissage constituerait les parois d’un habitacle – les enfants le font-ils encore?) ou manière de porter un plafond comme une dalle flottante ?

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extrait notes Giotto

Je résume là, de manière lapidaire, les théories constructives de G.Semper et de K.Frampton sur lesquelles je reviens très souvent parce que tous deux ont déplacé, à leur manière et dans des contextes différents, la dualité structure/ornement en termes d’ontologie et de représentation. Frampton a adapté aux modernes l’idée d’une tectonique idéale, de la cabane de bois primitive du bon sauvage aux édifices de pierre dont les ornements s’organisent selon les ordres classiques. Quant à Semper, il a donné une place singulière à la tectonique pour penser l’architecture à partir d’éléments constitutifs s’enracinant dans le tissage – le noeud, le tressage et tout type de technique s’assimilant à celles du tisserand quelque soit le matériau. La tectonique a pour domaine le plafond, le revêtement manifeste la visibilité des surfaces porteuses. C’est la fameuse étude de la hutte caribéenne du chapitre 5 des quatre éléments d’architecture.

Caribbean Hut

La table-cabinet que fit Semper pour le prince Albert, après ses expériences décisives pendant l’exposition universelle du Crystal Palace (1851),  et qui se trouve aujourd’hui au V&A Museum se veut être un meuble synthèse. L’objet rassemble les quatre types de classifications que Semper imaginait pour un musée à venir à partir des conclusions qu’il avait tirées du Crystal Palace et du catalogue de l’ensemble des artefacts de la grande exposition qu’il avait produit. Le terme cabinet relie l’architecture de fer et de verre rassemblant les productions du monde entier, a giant magical glass cabinet, à cette pièce de mobilier opaque condensant à l’excès un patchwork de styles de toute époque et provenance. Juchée sur ses quatre pattes de lion empruntées à Pompéi, la table a l’allure d’un animal monstrueux dont chaque partie, chaque détail renferme, comme tapie et prête à se dérouler,  une histoire naturelle de l’ornement.

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J’ai toujours été très attristée par cet objet irregardable. Comment une personne qui a cherché, sans relâche, à penser l’architecture, la demeure, le foyer, en s’attachant à chaque détail de tout ce qui les orne, s’applique-t-elle à inverser son processus mental pour produire par une accumulation de fragments scrupuleusement choisis quelque chose qu’on ne saurait voir ?
Ironie d’un objet faisant semblant de satisfaire l’éclectisme de son temps en redoublant de savoir-faire par une science de l’art ? Obscénité de l’húbris du connaisseur ? Folie florentine par passion pour l’aventure inventive des humains ? Post-modernité engendrée à rebours par un homme qui a perçu, à la faveur de l’exposition universelle de 1851, les risques d’une modernité associée au consumérisme en marche ?
Quelque chose toutefois qui pourrait rejoindre le mode déceptif propre à la situation actuelle d’une certaine production allusive et auto-référentielle participant au champ de l’art contemporain, y compris dans son absorption de l’interdisciplinarité. La différence évidente entre l’agglutination de Semper et ce fabricationnisme tient au rétrécissement des sources utilisées, sans parler de leurs reprises sans surprise.
Un texte court de Graham Harman, The third Table, paru dans les 100 Notes de dOCUMENTA (13) permet de poursuivre dans cette voie. Le point de départ en est la parabole des deux tables d’Arthur Eddington, telle qu’il l’a proposée pour son introduction aux Gifford Lectures à Edimbourg en1927. La première table est celle de la vie quotidienne, que l’on voit, que l’on touche. La seconde table est celle de la physique moderne, faite de vide et de particules circulant à grande vitesse. G.Harman associe le principe de l’écart des deux tables d’Eddington à celui des deux cultures décrit par Charles Snow  en 1959. Le scientifique réduit la table à un flux de charges électriques invisibles à l’oeil nu. L’humaniste la ramène aux conséquences sur les individus et les objets.
Harman localise une troisième table (et c’est la seule table réelle, dit-il)  dans un espace entre les deux précédentes, une table qui ne peut être vérifiée ni par la science ni par des effets tangibles dans la sphère humaine. Cette troisième table nécessite une troisième culture, complètement nouvelle, qui serait “peut-être la culture des arts”. Effet de séduction garanti sur le public des conférences de dOCUMENTA (13). Miroitement de la suggestion. Position de formuler plus que position de penser.
L’écriture de cette trentaine de pages est de nature allusive –  ad ludere, jouer avec. Mais de quel jeu s’agit-il ?
En l’état, pas le jeu mallarméen, bien que les ingrédients semblent réunis.
Je me propose de revenir, au cours de ce mois, sur un certain nombre de ces termes qui m’importent, disséminés, comme si cela allait de soi, dans les quatre extraits suivants.
On y retrouve les problématiques de la table-cabinet de Semper mais aussi celles induites par la méthode de travail que j’ai engagée avec la dame de chez Wepler.

“The real is something that cannot be known, only loved. This does not mean that access to the table is impossible, only that is must be indirect (…)”

“The world is filled primarily not with electrons or human praxis, but with ghostly objects withdrawing from all human and inhuman access, accessible only by allusion and seducing us by means of allure.”

“Quite obviously, artists do not provide a theory of physical reality, and Eddington’s second table is the last thing they seek. But on the other hand they also do not seek the first table, as if the arts merely replicated the objects of everyday life or sought to create effects on us. Instead, there is the attempt to establish objects deeper than the features through which they are announced, or allude to objects that cannot be present.”

“For centuries, philosophy has aspired to the conditions of a rigorous science, allying itself at various times with mathematics or descriptive psychology. Yet what if the counter-project of the next four centuries were to turn philosophy into art ? We would have “Philosophy as Vigorous Art” rather than Husserl’s “Philosophy as Rigorous Science”. In being transformed from a science into an art, philosophy regains its original character of Eros. In some ways this erotic model is the basic aspiration of object-oriented philosophy: the only way, in the present philosophical climate, to do justice to the love of wisdom that makes no claim to be an actual wisdom.”

 

rendre une machine plus humaine en y peignant des fleurs

L’IA est de plus en plus d’actualité, si cette formule désigne le fait que les médias en parlent presque quotidiennement. Les matins de France Culture en font leur thème d’un jour, reprenant le slogan, diffusé ici ou là,  de “l’année 2016 comme année de l’Intelligence Artificielle”  sous la question “faut-il avoir peur de l’IA ?”  Les derniers Entretiens du Nouveau Monde Industriel présentaient l’avantage d’aborder la question directement là où il y a urgence, à savoir à propos de ce qu’est devenu le Web commun, en toute indifférence critique et politique hormis les voix de ceux qui apparaissent comme trop spécialisés.
Depuis que j’ai commencé ces carnets, je me sers d’un Scoop It pour accumuler articles et documents glanés en ligne non pas directement sur les enjeux de l’intelligence artificielle aujourd’hui mais sur leurs aspects subreptices logés dans les objets-robots de la vie quotidienne. Ce n’est qu’une manière de faire dans le tissage d’assez vivant.
Ce qui se constitue dans cet agrégat s’apparente à ce que Jack Burnham a nommé subsculpture, vaste corpus de représentations des humains et des animaux, au-delà du champ de la sculpture établi par l’histoire occidentale de l’art . Réclamant une autre histoire des images de l’humain qui serait encore à écrire,  Burnham (1) s’est attaché à étudier les automates, figures d’animaux ou d’hommes en mouvement et animés, qu’il relie au domaine des technologies. Il assimile l’histoire de la sculpture occidentale au désir de donner vie à des entités qui ont forme humaine. Ainsi la représentation mimétique (issue du mime) en serait une étape, posant le réalisme comme la possibilité du faire semblant. Les robots issus de la cybernétique de l’après-seconde guerre mondiale introduisent au développement des objets en systèmes (un système est composé de  parties interdépendantes et il manifeste des caractéristiques proches de celles qui sont attribuées au vivant)
Il est facile de contester le fil conducteur de Jack Burnham et de reléguer son livre parmi les ouvrages qui paraissent aujourd’hui très datés, marqués par leur croyance en un monde orienté-système à partir des principes de la cybernétique. Mais il semble difficile, dans le contexte actuel de la diffusion de ce que recouvre le terme d’Intelligence Artificielle, d’ignorer cet essai volumineux qui s’efforce de penser les formes de l’art au commencement des technologies de l’information – sans compter l’ensemble des travaux de Burnham jusqu’à sa propre critique finale de l’art conceptuel comme esthétique de la théorie des systèmes qu’il avait établie.
Il serait par exemple opportun de comparer les visions de Burnham et celles de Liam Gillick (2), lequel s’applique à tracer une généalogie de l’artiste depuis 1820 pour revisiter la notion même d’art contemporain.  Ou bien de se demander ce que montre vraiment l’exposition Electronic Superhighway (2016-1966), From Experiments in Art and Technology to Art After the Internet (3), revendiquant de présenter une centaine d’artistes et 50 ans d’art et technologie ?
Ce n’est pas le moment ni l’endroit pour amorcer ce travail mais ma crainte est de ne pas parvenir à manifester avec suffisamment d’évidence les positions critiques que je souhaite engager en réalisant assez vivant. Autrement dit, comment ces carnets permettent de les poser au mieux afin que cela prenne forme dans le réseau de détails de la pièce, tout en me donnant la possibilité de les développer dans les chroniques pour Poptronics ?
Est-ce que l’attention flottante n’est pas plus juste ? Est-ce que la liberté du gaspillage des sources n’est pas fondamentale dans l’activité artistique ? Pourquoi diable ne pas s’en tenir à la stricte condensation plastique pour dire ? Pourrait-il exister non pas un art mais aussi une science labyrinthique de cette condensation ?

Beyond Modern Sculpture, The Effects of science and Technology on the Sculpture of this Century, George Braziller, 1968
Industry and Intelligence, Contemporary Art since 1820, Columbia University Press, 2016
Electronic Superhighway, Whitechapel Gallery, Londres – du 29 janvier au 15 mai 2016 (pas de version numérique du catalogue).
pour mémoire: E.Shanken à propos de l’exposition Software de Burnham, resituée par rapport à E.A.T.

retour sur la méthode _ 4

Je n’ai pas eu le temps de travailler aux projets en cours depuis le début du mois de janvier, sauf à poursuivre pour Magellan avec obstination le mundus maintenu par ses quatre tortues, ensemble de type perséphone dont la taille et le nombre d’éléments dépassent tout ce que j’ai pu faire jusque-là. Je ne peux pas m’en tenir à considérer qu’il s’agit d’une simple question de contingences. Comment se tisse la pensée quand elle en rencontre d’autres qui la mettent en demeure d’elle-même ? Jusqu’où cheminer, y compris dans le risque assumé d’un non-retour vers cette zone où je jouais jusque-là dans l’insécurité très relative de ce qu’on nomme recherche ? Il y a deux aspects qui m’importent. L’élaboration d’un projet à plus ou moins long terme est mon mode de travail le plus constant. Cela implique d’accepter les circonstances. Il y a celles auxquelles on se soumet pour des raisons diverses et les autres. Je ne saurais dire ces autres que métaphoriquement: les dieux grecs apparaissaient inopinément n’importe où et se métamorphosaient fortuitement, quel accès humain à ces épiphanies ?
La seconde question est celle des entrelacements du sens. Comment se conjuguent ressemblances et dissemblances des interrogations, des intuitions, des concepts dans la singularité d’êtres travaillant ensemble ? Les idées ne me semblent prendre valeur qu’au prix de ces moments de fluctuations d’intensité propres à chacun.
Mais je dois faire retour là, dans cette dramaturgie d’assez vivant, à achever dans le même temps. Faire retour brutalement. Ne pas occulter ces autres cheminements et ne pas être tenté de créer quelques coïncidences même s’il y a des proximités évidentes. Un oubli actif.
Pourquoi n’ai-je pas encore dessiné le moindre plan de l’espace scénique que je conserve envisionné dans mon esprit ? Comme toujours pour vérifier par l’élaboration la fulgurance de la conception de l’ensemble. Nul doute que le morcellement du temps qui s’impose à présent, va m’amener à rire plus souvent de mes tergiversations.
Qu’est-ce à dire pour ces carnets ? Poursuivre ainsi mais mettre rapidement en ligne la page racine du site lui-même, permettant de préciser mieux cette question de la présence en ligne.

retour sur la méthode _ 3

Le fait de produire les notes de travail dans cette “extimité” (hors des carnets papier que je ne garde pas longtemps, hors des pages dans des dossiers stockés sur des disques externes et serveurs, dont je perds régulièrement la logique de classement) change la donne ou plutôt la modifie.
J’entends extimité au sens de Lacan, mise à l’épreuve dans la littérature.
La forme tient plus d’un crayonné que de toute autre chose. Esquisses, traits suggérés, parti-pris, désinvoltures méthodologiques, folies de la forme, différés et digressions s’empilent en recueil de constructions, substrat sans chaînes argumentatives.
Cela se peut parce qu’au fond , il est parfaitement clair que seuls l’instant et le geste, hors de tout ça, permettront d’atteindre la forme finale. Mais c’est mon imbroglio nécessaire.
Il y a aussi les échanges avec différents compagnons et compagnes de travail à partir de ces notes qui deviennent “utiles”.
Quelle modification ?
Le jeu se mène en autorisant son propre enregistrement en conscience.
Il y a toujours la possibilité que ces traces deviennent invisibles pour une lecture web. J’ai installé une extension de publication utilisée pour gérer de manière automatique, la date, l’heure et le jour de la mise en ligne. Je l’imagine comme donnant une durée de vie à un article ou une page. Les crayonnés s’organiseraient dans le théâtre qu’ils dessinent alors qu’ils sont crayonnés à ce théâtre-même.
De manière très basique, j’aime le fait d’user (de) la matérialité du web: traçabilités et enregistrements compilés via les technologies digitales produisent l’illusion d’un Total Recall éternel, alors que c’est déjà visiblement mensonger depuis le début d’Internet. Mais plus précisément, c’est une façon de mettre en scène cet apostrophein autour duquel j’ai beaucoup tourné pendant ces semaines. Le détournement du regard marque le désengagement d’un contexte pour interpeler au-delà de la scène figurée sur un objet que l’on tient ou qui passe de mains en mains (ça ne se passe justement pas comme ça à partir de l’histoire de la peinture). Pour revenir à la méthode, je vais expérimenter cette temporalité calendaire et cinématographique sur une petite partie de Magellan.
Autre chose:  vanité du système de mots-clés de l’outil numérique à l’échelle d’un individu. On peut croire que c’est bien plus simple mais c’est de singularité qu’il s’agit et non de quantification.
Je viens de commencer un carnet papier qui est une sorte d’intendance des productions, pour une forme ebook postérieure.

gorgoneion et envisionnement

Le corpus des arts figuratifs grecs à partir de la formation du gorgoneion rend possible un changement radical:  revisiter point de vue et perspective par l’envisionnement.
[Pas de hasard – V.Hugo en créant 
Gilliatt (Les Travailleurs de la mer)  lui donne pour logis une maison “visionnée”. ” A maison visionnée habitant visionnaire”, Gilliatt était l’homme du songe + la scène du retournement de la jeune fille qui trace nom de Gilliatt dans la neige (à développer)]

Comment aujourd’hui penser les images en ne prenant pas l’intermédiaire des outils optiques comme “naturel”, en réfléchissant à celles qui sont, par là, définitivement accolées à ce que nous ne voyons pas ?  C’est-à-dire comment tenir absolument compte des dispositifs de prise de vue à l’oeuvre dans la constitution même de ce qui est représenté ?
J.L.Godard avec Adieu au langage ouvre une piste  de cet ordre en investiguant radicalement le 3D stéréoscopique. Se souvenir de Jonathan Crary qui fait remarquer que de tous les dispositifs de captation/restitution d’images, le stéréoscope est le seul à véritablement proposer une image “virtuelle”. La relation 2D/3D (hors réalité augmentée) est très balbutiante au niveau de ce qu’elle transforme – le simple fait qu’un fichier s’imprime en trois dimensions et comment on pourrait aller vers d’autres pistes que les usages même les plus évolués en ingénierie, à savoir ce que ça change optimentalement. 
La Lytro, par exemple, est un appareil-logiciel qui saisit en la traitant non plus l’image réelle formée dans un plan où elle est principalement nette, mais une globalité lumineuse chargée d’informations aptes à restituer l’image volumique sans rapport avec celle de l’optique classique. Par ailleurs, qu’est-ce que va faire le deep learning aux prises de vue et à la conception des images ?

L’image montée en épingle est détestable. L’image pour l’image est détestable. L’image de parti-pris est détestable. (P.Reverdy in Le gant de crin).

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F.Ferdinand Runge,The formative tendency of substances illustrated by autonomously developed images,1846

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Chris Burden, Medusa’s head (1990), agglomérat de contre-plaqué, béton, pierres, modèles réduits de chemin de fer et trains électriques (2,80m environ)

L’espèce de globe informe suspendu au plafond par une chaîne apparaît comme le résidu fossile d’un choc d’une énorme météorite avec la Terre à l’époque industrielle. De près, le bloc pétrifié confirme la suggestion de son titre (sub-gerere: ce qui est mis en dessous miroite encore à la surface). Des rails de modèles réduits de toutes sortes trains circulent à la surface et à l’intérieur du magma, simulant à la fois une histoire narrative d’une ingénierie civile des trains, des ponts et des tunnels et les activités de transports de marchandises.

le regard de face _ 3

En forme de récit rapide, que devient la tête de Gorgo ?
Après la décapitation, Persée s’enfuit avec son trophée. Dans son périple, ici et là, il se sert de la tête pour pétrifier ses adversaires selon les trois modes évoqués précédemment.
Il l’aurait ensuite offerte à Athéna, à l’origine de ce qu’est Gorgo et de l’aide apportée à Persée. La déesse la fixe sur son bouclier avec l’aide d’Héphaistos .
Perséphone en aurait aussi disposé pour protéger l’entrée des Enfers de l’intrusion des vivants (Ulysse évoque sa crainte de la rencontrer quand il brave l’interdit pour questionner Tiresias, celui qui par sa double métamorphose, “connaît la vérité sur le sexe” ).
Ce sont deux versions différentes, sans relation explicite.

Le gorgoneion est l’image du visage circulaire de Gorgo, analogue à son reflet. En plus des boucliers des héros et des guerriers, il se déploie partout, sur tous les types d’objets et éléments d’architecture.  Le motif disséminé permet une familiarité avec la mort qui ne peut se regarder en face.
Il est aussi rapporté que Persée, participant au lancer de disque pendant des jeux funèbres, tue involontairement Acrisios, son grand-père maternel, réalisant la prédiction de l’oracle.
Le disque, diskos, n’est pas seulement l’objet du discobole. Il ressemble à la pierre avec laquelle on écrase les grains – l’Odyssée parle de la farine “assassinée” par la meule.
“C’est un objet inquiétant, puisqu’ il arrive parfois que des individus se trouvent sur son trajet et se fassent tuer.”  Le disque possède la mobilité des premiers xoana, contrôlable et indocile.
“A l’égal de créer: la notion d’un objet, échappant, qui fait défaut.” Mallarmé in La Musique et les Lettres, t.2, p.68
Les textes utilisent l’aoriste, l’indéfini quand il s’agit de métamorphoses.
“L’aoriste constate un fait dont la durée n’a pas d’intérêt aux yeux du sujet parlant” J.Humbert
Pas de durée, le temps d’un clin d’oeil, non-visible aux yeux humains, insaisissable.
Ces images ne sont pas nécessairement la représentation de la narration.  La circulation entre elles, les objets peints et les sculptures forme cette constellation du ciel métaphorique mallarméen.
J’imagine à partir de la Dame de chez Wepler une sorte de dramaturgie du miroitement entre le regard et la vision, concret et abstrait.

le regard de face _ 2

Les coupes et vases de la céramique grecque sont le lieu d’échanges et de trajectoires de regards – leurs croisements, tensions, rencontres, détours et évitements. Les scènes, dans le mouvement et l’intensité des actions rappelées, conjuguent l’instant et le simultané des faits du récit mythique.
Entre le milieu du VIIIème et la fin du Vème siècle, le dessin s’est différencié – taille, forme et détail de l’oeil, orientation des regards, vues de 3/4 ou de profil.
Pendant cette même longue période, la statuaire s’est transformée.
Les sculptures de Dédale qui figurent les dieux sont des xoana de bois. Avant lui, les statues n’avaient pas de regard, leurs bras et leurs jambes étaient collés à leur corps – un simple billot sans yeux sans mains, sans pieds. Néanmoins, la tradition, et Platon, font état de la force vitale qui se dégage des xoana de Dédale, qui les fait regarder et marcher (il fallait les lier pour les empêcher de partir).
“Les statues de Dédale ont bien des raisons de s’enfuir. Mobiles, elles le sont en tant que signe de la présence insaisissable d’un dieu, en tant qu’objet et instrument de rites qui miment l’action divine dans ses diverses manifestations, en tant que marque d’un pouvoir politique qui se réclame d’une investiture divine mais qui peut, en même temps que le talisman, échapper à son détenteur, en tant qu’objet précieux enfin, qui, à côté de ses valeurs religieuses et politiques, est aussi un symbole de richesse et de puissance économique, une valeur circulante, une monnaie d’échange, un bien mobilier.” F.Frontisi-Ducroux in Dédale, p.106

“Dédale est considéré tantôt comme l’inventeur de la statuaire, tantôt comme l’auteur de progrès décisifs pour cet art. Et entre ces deux aspects on perçoit d’abord comme une antinomie: l’inventeur fabrique des statues “primitives”; les progrès sont l’oeuvre de ses successeurs. Or à Dédale on attribue ici une Aphrodite sans pieds, raide, dressée sur une base carrée, et là un Héraclès ressemblant si bien si bien à son modèle que celui-ci s’y laisse prendre et attaque cette effigie menaçante, qui brandit sa massue (…) Si on juxtapose ces différentes oeuvres, au lieu de les considérer comme des alternatives s’excluant mutuellement, on est conduit à penser que, prises ensemble, elles suggèrent une mise en mouvement accompagnant la mise en forme du matériau brut. (…) Pour concevoir une évolution, pour dire d’un seul tenant à la fois la naissance de l’image et les progrès de la sculpture, les Grecs ont recours à une vision cinétique.” F.Frontisi-Ducroux in L’art, effacement et surgissement des figures, p. 26

Avant de poursuivre sur cette vision cinétique, il est nécessaire de réintégrer Gorgo, la figure de la pétrification, de la mort pétrifiante qui soustrait les vivants à notre visibilité. Quand les hommes rencontrent le regard de Gorgo, ils peuvent prendre trois formes: celle de la statue qui conserve l’intégralité de la forme humaine, celle d’un rocher sans forme, celle d’un bloc très schématiquement taillé. Mais dans les récits, chacun de ces modes de pétrification possède de possibles passages contraires.
Parallèlement, on peut voir de manière indirecte le visage de Gorgo décapitée se reflétant à la surface de l’eau ou du bouclier poli ( tel le bouclier d’Hadès qui a permis à Persée d’accomplir son acte).

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Ou bien Persée, retournant le haut de son corps tout en continuant sa course, plonge son regard vers le corps sans tête de Gorgo.

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Les choses et les êtres se renversent et, alors, voir a lieu.
On retrouve le geste du buveur, qui, faisant face aux autres convives, leur présente son visage métamorphosé par les yeux dilatés de la coupe dans laquelle il s’immerge – manière aussi d’associer vue extérieure et vision intérieure de l’enivrement.
Les Grecs (jusqu’à la période attique) nous signifieraient que ces renversements sont rhuthmos, manière particulière de fluer”. Se souvenir du texte de Benveniste, qui, après avoir écarté le sens général du “rythme comme la mer” a étudié l’étymologie du terme avant la formalisation en tempo opérée par Platon.
« La formation en –thmos mérite attention pour le sens spécial qu’elle confère aux mots “abstraits”. Elle indique, non l’accomplissement de la notion, mais la modalité particulière de son accomplissement, telle qu’elle se présente aux yeux.»  Problèmes de linguistique générale, p. 332.
Rhuthmos correspondrait à  “la forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide, la forme de ce qui n’a pas de consistance organique : il convient au pattern d’un élément fluide, à une lettre arbitrairement modelée, à un péplos qu’on arrange à son gré, à la disposition particulière du caractère ou de l’humeur. (p. 333)
Le rhuthmos permet d’investiguer cette notion de vision cinétique. Il est non seulement le déploiement spécifique qu’il engage, mais aussi le pacte singulier de ce qui se meut.

Dans cette tentative pour cerner par bribes successives ce que je cherche à faire à partir du texte de Levinas (pris comme base d’entrelacement de motifs), juxtaposition du portrait de Dante par Luca Signorelli à Orvietto.

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Signorelli  utilise le regard renversé de Dante pour signifier l’action défigurante de la traduction – transport éminemment corporel des textes et “des blancs divisant le texte”.
« Et que chacun sache que nulle chose harmonisée par lien musaïque ne se peut transmuer de son idiome en un autre, sans rompre toute sa douceur et toute son harmonie.» (Convivio, I, VII, 14)

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C’est la représentation frontale des yeux avec leur pupille qui donne une facialité aux robots- jouets et créatures virtuelles des enfants. Cela fait suffisamment visage pour s’adresser à des objets qui deviennent “personnage”.
Association avec les vases-visages-têtes et les coupes à yeux, motif très courant dans la céramique attique.

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Ce sont des récipients larges, à l’échelle du prosopon. Quand le buveur plonge son visage dans la coupe, son regard est à la fois occulté et redoublé aux yeux de ceux qui l’entourent.

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Les yeux des coupes sont immenses, grand ouverts. Ils sont séparés par des éléments très divers, du simple nez à des personnages donnant lieu à d’incroyables inventions plastiques.
La pupille est aussi un lieu d’images.

Il y a un très grand nombre d’études sur les coupes à yeux avec des questions qui courent toujours, en prenant le risque des anachronismes que s’autorise la recherche en art (celle-ci est très redevable aux travaux d’érudition que leur “folie florentine” distingue de productions académiques).
Quelques notes de lecture (F.Frontisi-Ducroux, Du masque au visage) :
Aristote différencie la tête et le visage pour l’homme, car seul à se tenir droit, il peut regarder et parler de face. (Histoire des animaux, I, 8; 491b). Il utilise le terme prosopon pour désigner la partie comprise entre la tête et le cou, qui voit en avant (vient du radical ops “oeil, visage”; pros– indique une position dans l’espace, il signifie devant par rapport aux yeux d’un sujet qui regarde). ethos est le terme qu’il emploie pour signifier le personnage (caractère).
“Il est donc raisonnable de minimiser le rôle conféré traditionnellement au masque dans l’aventure sémantique du prosopon. En revanche, le prosopon équivaut très tôt à l’individu. Le visage est considéré comme ce qui identifie chaque être, le fait reconnaître dans sa particularité. Il est le lieu où se manifestent les pensées, les sentiments, les intentions, les désirs, les passions, où se donne à voir cette mobilité qui fait la vie. A travers la relative stabilité des traits de chacun s’opère un rassemblement de cette diversité intérieure, de cette pluralité de forces et de pulsions par quoi se définit l’homme grec, surtout à l’époque archaïque. Le passage, dans les textes homériques, du pluriel prosopa au singulier prosopon témoigne de cette unification. Et surtout le prosopon, “offert aux yeux d’autrui” est le medium indispensable à la projection vers l’autre, vers le groupe social, où s’expérimente le moi et se développe la personnalité.” p.120
“C’est donc bien dans son parallélisme avec le logos que le prosopon devient à la fois personnage agissant, c’est-à-dire parlant tout en montrant son visage, et personne verbale. Il est possible de suivre dans ses modifications la relation des deux termes de ce couple que forment le visage et la parole. Chez Platon comme chez les orateurs, leur parallélisme est constamment affirmé. Le philosophe joue de l’homologie des visages comme de celles des noms, et souligne la symétrie de ces deux modes de ressemblance. Le vis-à-vis, la réciprocité des regards préparent et accompagnent le dialogue socratique et l’échange verbal. Situation que résume le jeu sur les mots prosopon et prosrhésis, qui disent, l’un le voir en face et le visage, l’autre la dénomination et le dire en face: l’interpellation.” p.124
Ce sont les analyses iconographiques des vases et coupes sur la place des représentations frontales parmi les figures de profil et de trois-quart qui relancent les investigations sur le prosopon.
La figure qui n’a pas le droit au terme prosopon est Gorgo. C’est une tête coupée (kephalè) dont la face n’a pas droit au nom de visage. Toutefois, cette “antiface” est toujours présentée frontalement, obligeant à la confrontation avec ses yeux écarquillés. La représentation est une surface plate, sans profil, sans volume.
” La frontalité réglementaire de la Gorgone est une exception dans la peinture céramique attique qui présente régulièrement les visages de profil, s’entre-regardant ou refusant de se voir, selon que ces profils sont convergents ou divergents, dans l’espace de l’image.” p.135
Le visage détourné, l’apostrophè, est d’abord celui de Persée.
Le peintre de Pan a choisi de représenter Persée seul. Le visage détourné, dans le sens inverse à sa marche, il tient tout contre lui la tête de Gorgo en forme de disque faisant face à celui qui regarde la scène.
L’apostrophè désigne le détournement, la volte-face, le mouvement vers une nouvelle direction. Le terme sert aussi comme interpellation linguistique pour les orateurs, le récit épique, figure de style de la réthorique. C’est la frontalité qui provoque l’apostrophé.

Furby _ 2

Transcription de Paul (celui des Cuppets) à propos de son nouveau Furby Boom:
Il a les yeux lumineux et on peut le faire vivre avec une tablette. En premier, il faut mettre les piles, après mettre l’application Furby Boom, cliquer sur jouer, après il faut scanner, il faut qu’il soit à 10 cm de la tablette. Là je vais lui donner à manger … Il recrache les arêtes de poisson, les os. Quand on lui donne une bouteille d’eau, il recrache la bouteille. Avec la tablette on peut lui faire avoir des enfants. Là je vais vous faire éclore un oeuf. Là il est glacé, l’oeuf. Je lui fais faire de la musique. Il tremble et il est en train d’éclore, on le voit un peu et là on voit le Furby bébé, il faut le nourrir, l’adopter et tout; quand il vient de naître, il faut lui donner un nom. On gagne un cadeau, on ne sait pas ce que c’est. Là il est sale, là je vais le faire doucher, on voit le sale,  on peut mettre le chaud ou le froid, voilà je le lave  après le sale  Ce que j’aime bien, c’est qu’il peut faire caca, on le fait asseoir sur les toilettes, il peut faire du caca, un petit, un moyen, un gros et des fois il donne un nouveau truc, et là j’ai une rose. Après on tire la chasse et ensuite on met du parfum. Mon Furby fait plein d’autres choses. Je vous laisse deviner.

Transcription de test- www.choixdesparents: deux “mamans” qui présentent la peluche ( pas différenciées car les voix se mêlent et les distinguer n’apporte rien ici)
Il est super mignon,  il est très attachant et il est un petit peu surprenant, on ne maîtrise pas tout, c’est une peluche qui parle, il parle, il bouge.
C’est une peluche interactive, et là je là réveille. Il marche avec six piles qui ne sont pas incluses et il fonctionne un peu comme il veut. Il parle, il bouge. Il y a des capteurs en fait qui permettent de réagir, donc je peux le caresser, lui faire des petites chatouilles je peux le nourrir, il fait de la musique, il chante, il fait un peu ce qu’il veut quand il veut. Lors de la première utilisation, il parle un drôle de langage, il parle Furby et au fur et à mesure du temps  son vocabulaire va devenir de plus en plus français et son comportement va évoluer; si vous êtes gentil, il va devenir gentil,  si vous êtes un peu du genre Furby,  ça suffit, tais-toi, il va finir par s’exciter et s’énerver, voilà, c’est un peu comme un animal de compagnie, il fonctionne en fonction de comment l’enfant s’occupe de lui. Si vous lui donnez trop à manger, il se met à roter et à péter, donc  ça fait rire les enfants. Donc là je vais l’éteindre. Il n’y a pas de bouton marche-arrêt, il faut tirer sur la queue pendant 10 secondes pour qu’il s’arrête. Pour que ce soit un peu plus rapide, je vais lui enlever sa pile et ça l’éteint( l’autre méthode). Sinon, Furby parle tout le temps et donc, il y a un moment, il faut qu’on arrive à l’éteindre. Deux Furbies qui sont face à face peuvent communiquer et échanger entre eux, c’est sympa dans une même famille. Et aussi il y a une application. quand on connecte le smartphone avec Furby, il faut mettre le smartphone juste devant lui, on a accès à l’application et là on peut faire plein de trucs: on peut le nourrir, lui faire prendre une douche … , on peut prendre soin de lui, et du coup il est tout content. Les enfants adorent ça, toucher à l’application et la faire fonctionner. Comme il est un peu surprenant, vous allez certainement avoir plein de questions ou en tout cas quelques questions et ça tombe bien car il y a une communauté de gens qui se posent les mêmes questions et qui finissent par échanger sur internet, comme nous. Franchement nous, on l’aime bien, il est attachant, il est super mignon, quand il se met à vous envoyer des coeurs, vous allez craquer, quand il se met à pleurer vous allez craquer, donc, il est très attachant. Le deuxième petit plus, c’est rigolo qu’il évolue dans le temps, qu’il ne réagisse jamais deux fois de la même manière, qu’il nous surprenne. Et c’est original, une peluche qu’on peut connecter avec un smartphone, une appli. Quelques petits moins: il parle tout le temp, et au bout de diX minutes c’est insupportable. Le deuxième moins, c’est qu’Il ne réagit pas de manière intelligente, c’est surprenant et c’est bien. Mais de temps en temps, on aimerait bien que la relation soit plus intelligente, plus structurée, plus rationnelle et pas totalement aléatoire. Alors, ne comptez-pas sur le mode d’emploi pour vous aider, car il est très succint. Les enfants ne vont pas l’utiliser en continu mais par phase de 10 mn. Les applis c’est bien mais c’est un petit sujet conflictuel avec les enfants- les écrans. Au final, il est très surprenant.

Transcription fillette qui veut transformer le caractère de son Furby – en princesse
comme mon Furby est méchant, regardez ses yeux , ils sont tout moches. Avant elle était gentille, mignonne et tout et là sans le faire exprès elle est devenue méchante, donc elle est un petit peu malade. Il est devenu hyper fou et méchant. Quand il est méchant, souvent ils ont des flammes et moi il est hyperfou, on dirait qu’il est malade. Pour le faire devenir gentil, il faut le bercer, il adore, il ne parle pas, il faut lui faire des caresses, il adore, il devient gentil, il faut lui faire des petites gratouilles sur le ventre, le balancer. Des fois, il chante. C’est lui qui siffle. Voilà il est changé en princesse.

Transcription enfant qui veut transformer le caractère de son Furby – mode méchant
C’est un nouveau Furby – les Furbies 2013-2014,  avec les yeux et tout, qui parlent et bien sûr moi j’ai le bleu, une fille, et avec sa queue. Comment rendre un Furby méchant? Pour l’instant,le mien est en mode princesse. Pour le réveiller, vous faites ce que vous voulez,  vous le secouez, vous lui donnez à manger. Donc, là elle est toute gentille. C’est normal si vous ne voyez que du blanc dans ses yeux.  Donc là c’est ses petits yeux, elle est toute mignonne. Pour le rendre méchant vous lui faites tout, tout ce qu’il ne faut pas faire en le qualifiant de gentil.  Vous lui tirez la queue, vous lui donnez beaucoup de fois à manger, voilà … Donc quand il a ses yeux comme ça, c’est qu’il est méchant. Furby, tais-toi. Furby change de voix.
Customisation du Furby pour jouer avec lui ( un habitat avec des boîtes en carton, une brosse Barbie pour le brosser, un ruban à piquer sur le sommet de sa tête, un porte-clé Furby méchant à accrocher aux oreilles).

retour sur la méthode _ 2

Comment faire avec l’embarras récurrent que me produit l’outil d’écriture-enregistrement-classement qu’est ce blog-site ?  Jusqu’où faire les phrases, le déroulé d’une argumentation (ce que je ne ferai pas sur un carnet de papier) ? Pourquoi mentionner les références, les rappels, les liens de mémoire ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas du tout satisfaite des hiérarchies de distribution et catalogage automatisées ? Pour résoudre certains problèmes, je viens d’agglomérer catégories et tags sous la forme d’un index.
J’ai beaucoup aimé l’usage de la recherche par n’importe quel terme dans les ebooks (par exemple, comment oeil n’apparaissait pas dans les 600 pages du format du livre), juste pour une autre exploration de lecture à l’échelle individuelle sous l’influence de ce champ théorique ouvert par les études littéraires soucieuses de ce qui arrivait aux textes avec les ordinateurs et les réseaux. Néanmoins je ne parviens toujours pas à utiliser Indexy.
Le principe n’est pas de rendre visible les notes de travail.
Re-formulation: utiliser la mise en ligne de ces notes comme la présence la plus juste que je puisse faire sur le web = poursuivre les réflexions sur ce qu’est devenu le web (pour des articles ailleurs) grâce à cette pratique.
Or, les récentes modifications que je laisse advenir dans le projet avec A. ont des implications sur la tenue des carnets 1 et 2. S’entremêlent des observations sous d’autres angles. Je (sujet) suis confrontée à l’immersion dans cette nouvelle effectuation et je suis mise en demeure non seulement dans la méthode mais aussi de manière éthique pour veiller à rester dans la consistance propre de ce qui survient. Je n’avais jamais jusque-là mêlé dessins et textes au même niveau de la pensée, l’un pour/par l’autre. Mais peut-être est-ce  la conséquence d’une attention que je ne prêtais pas jusqu’à présent aux allers retours de construction.

“entre les paupières et les yeux”_ 2

Je ne pensais pas que la note à partir du 23 décembre 1869 allait m’amener à des questions d’optique (dans tous les sens du terme), car ce n’est pas l’optimentalement de Magellan qui m’a conduite à commencer les quelques lignes mais le mode temporel – celui-ci est, pour le coup, le laboratoire de Magellan.
C’est sans doute le fait d’utiliser l’expression “entre les paupières et les yeux” comme titre qui m’a détournée. Il faut dire que je l’ai reprise à cause de l’entre-noir qui m’absorbe dans un projet non mentionné ici pour l’instant (la raison de mon retour obstiné vers Hopkins et Duns Scot).
Je me sens contrainte de consigner maintenant le texte d’Hopkins pour, sans doute, le déplacer bientôt.

“Les images du rêve paraissent également avoir peu ou point de profondeur, être plates comme des tableaux, et souvent on croirait avoir les yeux dessus – pendant qu’on rêve, veux-je dire. Cela causé, sans doute, par la différence toujours ressentie entre les images apportées par le fonctionnement habituel de la vue, et celles qui sont perçues, comme celles-ci, “entre les paupières et les yeux” – toutefois cela ne suffit pas, car nous voyons aussi des couleurs, un brouillon de points et de formes, et, de toute façon, l’obscurité positive, due à la fermeture des paupières dans la fonction visuelle normale; mais j’imagine que ces images sont amenées sur un champ obscur par une action invertie des nerfs optiques ou d’autres nerfs (la même chose vaut pour les sons, les sensations du toucher, etc., dans les rêves). Il semble d’ailleurs raisonnable de supposer que les impressions visuelles relèvent de l’organe de la vue – et qu’une fois logée là, elles sont fixées par la pensée tout comme d’autres images: seulement, une fois éveillé, on ne peut pas les fabriquer à volonté, car l’effort nécessité aurait sur elles un effet destructeur, étant donné que l’oeil dans sa saine fonction éveillée ne reconnaît que les impressions apportées du dehors, c’est-à-dire soit d’au-delà du corps, soit du corps lui-même, produites sur le champ obscur des paupières. Il n’en reste pas moins que j’ai vu, à certains moments propices, des images issues du dedans et qui se trouvaient là, mêlées aux autres: si je ne me trompe, elles sont plus frustres et plus simples, elles sont un peu comme des spectres produits par des choses brillantes quand on les fixe longuement. Je puis en conséquence croire ce que C. avait dit à E.B.: qu’à son réveil il pouvait voir – ce qui va au-delà de leur simple vision sur le champ des paupières – les images de son rêve sur les murs de sa chambre.
Il n’est pas, en réalité, plus ardu pour l’esprit d’avoir tout en même temps la connaissance de ce que voient les yeux, et celle des images qui appartiennent à nos pensées, sans jamais ou presque jamais les confondre, que de ramener à une seule les scènes perçues par les deux yeux, sans jamais les diviser. (Note rajoutée le 23 mars 1870)”

“entre les paupières et les yeux”_1

Dans l’édition partielle en 10-18 (1976) des écrits hors poésies de G.M.Hopkins, qui ne me quitte pas depuis plusieurs semaines, le journal (1866-1875)  est inséré entre les carnets (1862-1866) et les lettres (1865-1889).
Le 23 décembre 1869, ses notes sont plus longues qu’à son habitude – il y est revenu en rajoutant plusieurs paragraphes le 23 mars 1870 ( imprécision sur le début de ce complément, qu’on peut seulement faire coïncider avec l’évocation d’une date postérieure: un autre jour, après, ….)
Ce n’est pas une attitude de type génétique textuelle qui me pousse à attacher de l’importance à cette temporalité-là (pas de reconstitution de strates successives formant récit interprétatif, ni de reconstruction biographique ou chronologique).
De quelle manière est-il possible d’envisager une vie humaine dans sa singularité par rapport à cet accès qui nous est donné à l’oeuvre d’une vie entière?
Comment parvenir au discernement de la malléabilité du sens du temps ?
Beaucoup du cinéma expérimental du XXème siècle a exploré magnifiquement le passage de l’attention d’un point à un autre de l’espace.
L’hypothétique était proposé comme modèle de la conscience, chaque chose élémentaire impliquait l’univers. Aujourd’hui les historiens historicisent comme si ces explorations n’avaient pas existé. Mais c’est autre chose que je veux signifier.
Rêve d’un art qui donnerait forme à une plasticité temporelle.

23-12-1869 : c’est une journée où Hopkins revient sur un rêve qu’il a fait la veille.
Je savais que je rêvais et je produisis ce bizarre dilemne dans mon rêve: ou bien je ne suis pas vraiment avec S. et alors qu’importe ce que je fais, ou si je le suis, le fait de me réveiller me déplacera sans qu’il me soit nécessaire de faire quoique ce soit – et cela suffisait à me satisfaire.”

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Au début de la quête en songe de Poliphile (Hypnerotomachia Poliphili),  celui-ci, après avoir franchi une sombre et épaisse forêt, est figuré endormi au pied d’un arbre dans un paysage calme et vallonné pour signifier qu’il rêve qu’il rêve.

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La traversée des arbres enchevêtrés s’assimile à un profond sommeil, le dormeur se voit s’endormir. Ce n’est pas la successivité des scènes qui nous en donne la conscience mais plutôt l’acceptation d’une sorte de stéréoscopie.

La forme spatio-temporelle rapportée par Hopkins me fait précisément penser à l’emploi de cette optique 2D/3D par J.L.Godard pour Adieu au langage. L’expression “entre les paupières et les yeux” qu’Hopkins introduit dans la note postérieure, en ouvre la sensation.

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Le théâtre du Globe, métaphoriquement, au centre de Magellan.
En train de poursuivre sous forme de perséphones plusieurs types de coupole/bol à l’échelle de deux mains réunies faisant récipient et dans la lecture des carnets de G.M.Hopkins:
Gulf, golf. Si ce jeu tire son nom des trous où la balle doit entrer, ces mots sont peut-être connectés, ayant tous deux une racine signifiant: creux. Gulp, gula, hold, hilt, kolhos, caelare (rendre creux, creuser, enterrer), caelum qui est par conséquent identique comme s’il était ce qu’on supposait autrefois: une traduction de kolaov, hole, hell (the hollow hell: le creux enfer), skull (mâne), shell (coquillage), hull (coque) (des navires et des haricots). p.30
J’étais allée voir du côté de vessel, vaissel (moyen français) de vascellum qui associe les navires et les objets sacrés concaves (aussi comme ils peuvent apparaître en mer) – envaisseler.
Et dans le même temps, la nef (navire, partie qui soutient la voûte, laquelle a la forme d’une coque inversée) qui permet d’arriver à la navette – celle du tissage (voir F.Frontisi-Ducroux et J.P.Vernant, Dans l’oeil du miroir, la navette et le miroir sont représentés d’une façon telle qu’ils se confondent).

Capture d’écran 2015-11-17 à 09.39.19

Le premier prototype a fait partie de l’ensemble de près de loin, inséré dans une exploration de nature architecturale (tectonique et stéréotomie). Chacune de ces perséphones est la condensation d’une sorte de répertoire de rapports entre substance et structure dans la “prise de forme”. La sensation de déposer quelque chose sur laquelle revenir était signifiée par les tables de papier sur lesquelles étaient placés les objets du même matériau, rendu invérifiable par le travail de dessin-leurre d’une substance. La scène entière pouvait être emportée par le vent ou froissée à jamais comme une feuille. histoire de dire que ce n’est pas le registre du motif (pattern) mais du déplacement de la condensation.

Avec Magellan, les personnages sont apparus.
Le bol/coquille/voûte/navire se charge. Il se met en acte – comme le principe du carnet rouge/carnet noir: l’in actu d’une singularité.
voir Paul Klee, Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s’abandonner aux flots sous cette voûte.

retour sur la méthode_1

Le fait de tâcher de considérer ce site comme un lieu de travail qui me permet de consigner des notes et d’y revenir autrement que dans des carnets de papier m’amène à toujours revenir de manière quasi brechtienne sur les outils utilisés.
La temporalité affichée des notes et des pages est celle de l’outil informatique. Comme je reviens sur celles-ci en changeant quelques mots ou en ajoutant, enlevant des paragraphes, c’est la première date et heure d’enregistrement. Mais je peux aussi insérer une note que je n’ai pas faite à une date passée mais dont je me souviens, et qui ne “peut” exister qu’enregistrée à ce moment passé en regard du déroulé temporel.
Je me demande s’il est nécessaire de distinguer précisément les versions – comme des ajouts se verraient dans les marges ou entre les lignes etc …
J’ai aussi mis en place deux systèmes différents d’annotations des pages et des “billets” ainsi qu’un glossaire de type distant reading  sur lesquels je dois revenir car je ne suis pas satisfaite.
Les pages correspondant aux principes des projets sont plus complexes à gérer que je ne l’imaginais, dans la mesure où je les vois comme des réceptacles pour d’autres usages.
Dans les deux cas, jusqu’où développer, quelle écriture ? L’idée est de ne pas être dans le principe de “l’article” mais force est de reconnaître que j’écris autrement sur papier et que la typologie blog a tendance à formater la notation et le rythme.
En ligne, en mode public sans commentaires ouverts, comme réponse aux injonctions de présence en ligne, ces notes de travail construisent une exposition de ce qui n’est pas immobilisé, pas prêt, pas organisé – une sorte de théâtre d’activités ou d’ombres.
Les outils “embarqués” comme Scoop It ou Google docs ont leur propre temporalité. Cela produit des déroulés d’images dont les transformations de la compilation ne sont pas visibles à moins d’aller les voir. Ce sont des outils pour usagers du web – ils sont pour l’instant peu détournés mais cela fait aussi partie du jeu.

M.McLuhan / S.Giedion

La biographie de McLuhan par Douglas Coupland: une adéquation stylistique très réussie qui, de plus, fait saisir le plus grand malentendu qui a fait de McLuhan un adepte de ce qu’il étudiait, décrivait alors qu’il le dénonçait.
Douglas Coupland saisit la figure de McLuhan telle qu’elle est généralement prise en la reconfigurant selon différents points de vue de la manière dont il travaille ses textes en forme de romans. Les techniques de composition font appel à la digital litteracy post-McLuhan et permettent de le considérer hors académisme, tant dans les méthodes, les impasses, les fulgurances et les formulations – une pensée d’artiste plutôt que théoricien des médias, de la recherche-création.
Envie de revenir de plus près aux formes et formats utilisés à partir de la Mariée mécanique, d’une part pour la question des patterns et d’autre part pour la manière dont sa pensée s’est enracinée dans le monde de l’invention de l’imprimerie, soit le monde magellanesque – celui de mécanisation de la culture dont il analyse les effets jusqu’à l’arrivée des médias électriques et électroniques de manière radicalement différente de l’Ecole de Francfort.
Relations avec:
H.A.Innis 1
S.Giedion 1, 2, 3
E.Carpenter 1
J.Tyrwhitt 1, 2
J.Joyce 1

Tadeusz Kantor_1

Bruno Schulz, “les mannequins”, “le traité des mannequins”:
C’est “souvent pour un seul geste, pour une seule parole, que nous prendrons la peine de les appeler à la vie (pour un instant …) S’il s’agit d’êtres humains, nous leur donnerons par exemple une moitié de visage, une jambe, une main, celle qui sera nécessaire pour leur rôle”.
“Figures du Musée Grévin, mes chères demoiselles – mannequins de foire, oui; mais même sous cette forme, gardez-vous de les traiter à la légère. La matière ne plaisante pas. Elle est pleine d’un sérieux tragique.”
Kantor poursuit en construisant des machines à comportement.
J’imagine une scène où tout est responsable – je l’ai tenté il y a une vingtaine d’années avec Tantôt Roi Tantôt Reine, Ava Pandora, Pacifique, Flying Lady mais sans le formuler exactement comme ça. Mes questions étaient de cet ordre: qu’est-ce qu’une scène ? La scène n’appartient pas qu’au théâtre, il y a celle de la psychanalyse …
L’intérêt que j’ai pour les intrications entre le médium digital et les outils numériques depuis les débuts d’Internet et du Web, me fait revenir, malgré moi, à cette question de la scène dans une toute autre “anthropologie”.
Il ne s’agit pas d’utiliser des objets techniques mais du souci des choses, des images, du langage captifs du milieu technique qui est le nôtre.
Relecture du Théâtre de la Mort. L’insu, quelque chose de ce que Kantor appelait “cet obscur procédé qu’est la REPETITION”.

OS-tan

Les OS-tan sont nées sur le premier forum à images, Futaba, à cause de l’instabilité des systèmes d’exploitation Windows.
Me-tan, la première figure-manga de jeune fille à représenter un OS est née le 6 août 2003, date de son téléchargement.

8ef

Peut-on rapprocher cette personnification d’un 0S de la supposée date de naissance du fameux Astro boy, inventé par Ozamu Tezuka en 1952, ce petit robot qui fait l’interface entre les cultures des hommes et des machines,  le 7 avril 2003 ?

Personnification d’un système d’exploitation dans la culture geek / soigner (pour qu’elle ne meure pas) une créature virtuelle dans la culture de la consommation ?

carnet rouge

Si le carnet rouge de Magellan renvoie directement au verzino, qui donna son nom au Brésil. L’Amérique du Sud était couverte d’autres variétés plus stables pour la teinture que celles que l’on faisait venir à grands frais d’Asie ou d’Afrique.
Les nombreux ouvrages sur l’histoire des couleurs insistent sur le fait que, jusqu’à la chimie moderne, ce qui importe c’est la densité, la profondeur et l’éclat de la couleur. Le carnet rouge est une sorte de circumnavigation de la capture de la teinte sur la surface du papier.
Mais il s’agit aussi de nombreuses interrogations à partir de la fabrication de l’exemplaire unique du Livre Rouge de Jung. Je voulais trouver un moyen de revenir sur la manière dont le trait, le contour et la couleur sont données à voir, après le trouble éprouvé dans l’exposition qui a eu lieu, il y a quelques années au Musée Guimet.
A regarder de plus près: “A Londres, les teinturiers jouissaient du droit d’élever des cygnes sur la Tamise, privilège autrefois réservé aux seuls souverains.” in Amy Butler Greenfield, p.28

Arlequin

En cherchant d’autres éditions d’Arlequin parmi les jouets de la seconde moitié du XIXème pour voir en quoi se distinguait celui choisi par Mallarmé, cet Arlequin sur autruche  – jouet à traîner.

autruche en carton pressé, Arlequin à tête en biscuit, mouvement du bras et de la tête du personnage
H: 53 cm, L: 27 cm, vers 1900.

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Il m’intéresse autant par rapport à l’Arlequin que par rapport aux perséphones produites pour Magellan.

Comment un Arlequin joufflu se retrouve sur une sorte d’autruche-flamand rose à roulettes ? Lequel est étranger à l’autre ?
L’occasion de rapporter, pour la reprendre de manière plus détaillée, la conversation que j’ai entendue entre un père et son fils d’environ 8 ans dans un café proche du Jardin des Plantes: tu veux aller voir les squelettes ou les animaux empaillés ?
Pour la série des cygnes de Magellan, il s’est agi de parvenir à la forme du cygne structurellement et émotionnellement.