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retour sur la méthode _ 5 (notes de bas de page)

J’ai commencé ces carnets il y a deux ans. Le principal objectif était de rendre visible en ligne un carnet de recherche à partir de son commencement, menant conjointement expérimentations et écriture de notes pour la réalisation d’Assez vivant. La superposition avec Magellan optimentalement, oeuvre de longue haleine et avec des travaux d’une autre nature interrogeant l’art et l’anthropologie a rendu aléatoire le suivi de ces notes. Non pas que les autres recherches éloignent; au contraire, il est toujours troublant de voir comment se fait la circulation des pensées, des questions et des recherches quand on revient à l’objet initial, quand on s’éprouve même et différent.
Je crois que la régularité de ces lignes tient plus à la forme blog elle-même et à la diffusion en ligne. Mon investissement dans la présence en ligne en termes de visibilité personnelle est très relatif. Je suis plus intéressée par l’usage de différents carnets papier et leur relation aux outils numériques. Comment noter et annoter ? Certains savent mettre en place des rituels invariables. J’ai l’impression que je dois trouver la bonne forme pour chaque note, pour ensuite être à même d’en faire un montage on line et offline à la fois.
J’ai récemment relu la mezzanine (1) de Nicholson Baker. Il réussit extraordinairement ce que Philippe Lejeune (2) appelle l’esthétique de la durée ou l’art du délai à propos des solutions d’écriture de Michel Leiris.
Mais ce qui me ravit et m’intéresse le plus, c’est l’usage des notes de bas de page (3). Je suis retournée vers ce livre parce que je m’interrogeais sur la nature de tout texte produit en même temps que l’oeuvre (Assez vivant) ou à l’intérieur de l’oeuvre (Magellan optimentalement). Réfléchissant au terme de méta-discours proposé récemment par un visiteur à l’atelier, j’en suis venue à l’idée de notes de bas de page, à condition toutefois de les reconsidérer.
Anthony Grafton (4) a étudié la manière dont les membres d’une communauté intellectuelle lisent, notent et éditent. C’est dans cette optique qu’il compose une histoire de la note de bas de page. La note est ce qui prouve la véracité de ce qui est affirmé, renvoyant aux sources et aux raisonnements déjà existants. Les notes prolifèrent dans les travaux des historiens à partir du XVIIIème siècle, jusqu’à devenir objet de dérision par le ridicule de leur profusion. Malgré tout, Grafton regrette la mise en ordre actuelle de la note se pliant à des règles académiques. Roger Chartier (5) fait remarquer l’usage que fait Grafton de ses notes dans ce livre dont c’est le sujet même : “Ses propres notes, en fin de volume et non en bas de page, sont impeccables, impressionnantes d’érudition. (…) C’est dans le texte lui-même qu’il a placé commentaires ironiques et remarques provocantes. Comme s’il pensait que la majorité de ses lecteurs a perdu le goût des notes. ”
Supposons que la note de bas de page, qui est visible sur la même page que le texte principal, ne s’apparente pas seulement à la logique de la justification. Au lieu de considérer le renvoi aux sources ou à des commentaires détaillés comme un acte conclusif, imaginons la note dans le temps du délai, un délai sans lequel le texte principal n’existerait pas. L’un s’autoriserait de l’autre et vice versa.
La note de bas de page rejoindrait la tradition de la volvelle, ce disque de papier inséré dans le livre pour situer sa lecture. Elle peut aussi en être détachée et fournir toutes sortes de connaissances (carte du ciel, latitudes, marées, différents types de calculs …).

disque papier comme outil de lecture

disque de papier comme outil de calcul

disque de papier comme outil de navigation

1- Nicholson Baker, la mezzanine, traduit par Arlette Stroumza, pavillons poche, Robert Laffont, 2008
Arthur Saltzman, Understanding  Nicholson Baker, University of California Press, 1999
2 – Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Seuil, coll. Points Essais, 1996
3 – Claire Fabre, La défamiliarisation du quotidien ou l’amplification de l’ordinaire dans The Mezzanine (1986) de Nicholson Baker, Polysèmes, 9, 2007
4 – Anthony Grafton, Les Origines tragiques de l’érudition. Une histoire de la note en bas de page, traduit par Pierre-Antoine Fabre, Seuil, “La Librairie du XXème siècle”, 1998
5 – Roger Chartier, Le jeu de la règle: lectures, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. Etudes culturelles, 2000